Rechercher dans ce blog

7.28.2014

CHEMIN DE DAMAS ...






Nos yeux se déplacent tous les cinquantièmes de seconde, nous faisons dans notre tête des additions et des soustractions de ces arrêts sur image, les résultats se mêlent à des souvenirs tirés par les cheveux de notre mémoire... Ils nous changent l'humeur ou nous enfoncent dans nos trous, peu importe .Il arrive qu'avec un hasard de plus ou de moins, plus un brin de conscience et trois secondes de réflexion, nous jetions un oeil sur ce que nous avons déclenché... Nous ne saurons jamais quelle fut la part des choses, de nous-mêmes et de nos aptitudes à tisser des liens entre notre ignorance et l'indifférence de ce qui nous entoure... Avons nous prouvé que nous sommes quelque part, que nous l'étions et que bientôt nous serons ailleurs?... Nous ne sommes pas plus près des êtres et des choses quand ils passent à travers des lentilles, nos "capteurs" fabriquent nos illusions et nos suffisances, ils laissent filer la présence du monde comme dans nos mains l'eau de mer entre les doigts... Il nous reste un peu de l'écume des jours ... Tels sont les paysages en photographie, à refaire jour et nuit pour le lendemain, défraîchis de la veille, tout juste témoins d'un passage sans importance, mais nécessaires à l'investigation d'une seconde plus ou moins fatale que la précédente et la suivante...
Le Soleil s'est arrêté sur le chemin de Damas.


FAIRE LE PAYSAGE ....





37 + 18,5 = 55,5 mm de focale équivalent 24x36 , pour ce MIR-1B monté sur un Pentax numérique, fermeture à 8, la profondeur de champ calée à 5,6, soit de 2 mètres cinquante à l'infini. Le paysage passe dans un système physique où des inconnus mêlent des courbes à des équations. La lumière étant ce qu'ils croient, l'oeil étant ce qu'on peut en savoir, le nerf optique et le cerveau des uns ressemblant peu ou prou à celui des autres, les ingénieurs se mettent d'accord sur ce qu'on doit considérer comme net et contrasté pour un certain prix de revient ... Les clients fortunés, daltoniens ou affligés de strabisme, font monter les enchères et des physiciens de haute volée leur concoctent des optiques somptueuses, mécaniquement irréprochables et dont le rendu pète le feu... Bien qu'ils ne soient pas philosophes, les industriels font de la prose sans le savoir et chacun sait que les optiques des uns ne révèlent pas le monde comme celles des autres... Les écoles françaises et allemandes ont eu leurs générations de sorciers, puis les japonais firent presque aussi bien pour trois fois moins cher... Mais le record de l'intelligence consistait en optique à faire ce que font les meilleurs pour d'autres clients que les maharadjahs, les rois du pétrole ou les souverains en exil... Ainsi naquirent en Russie et Allemagne de l'est des cailloux robustes comme des kalachnikov, précis, liants et fermes dans les couleurs, les contrastes et les détails... qui varient entre 20 et 150 € sur le marché du web, aussi efficaces que les colliers de perles qui garnissent le cou des photographes mondains....Ces "Industar", "Pentacon", "Mir", "Hélios" et autres babioles ont en plus le mérite d'exceller sur les capteurs numériques, car ils sont peu garnis de couches anti-ceci ou cela... Ils se contentent de parasoleils ou de photographes peu obsédés par les contre-jours...
Où l'on voit que le paysage fait rarement la photo et que l'optique fait le paysage, combinée aux névroses ou curiosités de celui qui cadre et déclenche. Pour ce motif un certain rythme, une certaine organisation des masses, quelques manies et quelques attentions nous rapprochent de nous mêmes et de nos pouvoirs avec la complicité d'accessoires que les ignorants appellent "la Nature"...
 


UTILES PAYSAGES ...









Les paysages servent-ils encore? Ceux de Giorgione ou de Poussin mettaient de l'alchimie ou de l'ordre, faisaient la part des hommes où coururent les faunes, celle des bois où bramèrent les cerfs, celle de l'esprit où régnèrent les bêtes... L'oeil exercé de l'ancien monde distribua les routes, les carrefours, bâtit les granges et répartit les arbres... Les paysages se firent à la main, les forêts débardées par des attelages, les chemins creux et les fossés entaillés à la pioche, à la bêche... Nos morts nous ont fait le décor. Quelques exaltés s'empressent de s'y mettre, pulvérisent à tout va des joyaux de la chimie... se laissent guider par satellite... cavalcadent sur des pneus géants dans les vapeurs de gazole... Et bientôt les vents nous chanteront la douce complainte des banques, nous apporteront le chaud et le froid d'une étrange Terre Promise comme s'il pleuvait des bibles et des tables de multiplication sur nos pauvres salades... Car l'objectif est de rendre ce monde confortable et ses recoins utiles.
L'aventure n'est plus derrière les montagnes , mais sur les faces cachées de la Lune et de Mars, dans les bactéries-transistorisées, les antennes greffées sous la peau, la pesée quotidienne de l'oxygène donné et reçu... Regardons encore ce qui ressemble à ce que nous fûmes, comme penchés sur la nécropole des sueurs et des larmes perdues, nos photographies seront fort utiles aux parcs d'attraction et injections d'images fraîches dans le cortex des centenaires... Nous sommes aussi glacés que les lois que nous avons découvertes, nos jardins et nos désirs sont du marbre de nos idéologies pour débiles de bonne volonté... Nous sommes en foule et en concert du matin au soir, les forêts tropicales sont civilisées en rouleaux de papier cul par des chinois pour des enfants de Dieu... Quel jardin des délices! Nos derrières torchés aux essences rares de Bornéo! ... Laissons le Bonheur dans les Préambules, dans les poubelles qui débordent, qu'il pende sur les chapelets, aux barbes des hommes pieux, dans les slips et dans les chambres à gaz pour bananes de l'OMC... Ne promettons rien, payons-nous le luxe inouï de l'insignifiance et de la ligne d'horizon...

PASSE-TEMPS ....





Le temps n'est à personne, il passe comme passent les étoiles, les chagrins et les fleurs. On y échappe par la ruse en mettant du passé et de l'avenir dans les images, en laissant des mots aux bons soins des vents... Le temps est myope : s'il nous rattrape, il est facile de cacher nos bagages dans un coin, des inconnus les porteront . Quelqu'un prendra ceci ou cela puis s'en ira. Les dessins et les verbes font des sauts de puces d'une vie à l'autre, s'éloignent des lits de mort, résistent, logent au hasard des rencontres... Les horaires détestables, les temps contraints, les dates pénibles et les mensualités tueuses ne résistent pas aux voyages de l'âme... Il n'y a pas plus indifférent que le Soleil ou la Lune, plus sourd que la voie lactée, plus immobile que ton cadavre, ni plus drôle que les jeux de voyelles autour des consonnes, plus excitant que les ombres autour des lumières...