"L'étrange Livre des Poires"
est en ligne.
http://www.michel-ducruet.fr/PAGES/poires-parler-de-poires.htm
Ce
n'est pas la Sagesse qui tire les ficelles de la Vie, c'est le Destin.
( Cicéron )
Il
existe une infinie variété de poires. On trouve des poires à couteau (ou
de table), des poires à faire des poirés, des poires sauvages . Je connais
48 espèces de poires à dessert , on doit pour l'ensemble friser
les sept ou huit-cents variétés. Ce n'est pas cela qui m'intéresse.
Les
poires sont méconnues parce que notre gourmandise les a laissées tomber.
Elles n'ont pas résisté à l'invasion des fruits exotiques débarqués par
avion. Les ananas, les bananes, les oranges, les kiwis et tous les fruits
faciles ont pris le dessus. Une clientèle massive pousse des charriots.
Cette clientèle exige du frais,de l'hygiène et de la simplicité dans son
alimentation. Il est urgent qu'elle mange vite pour travailler. Or les
poires se moquent des gens pressés. Ce
sont des aristocrates... Des générations de jardiniers dévoués, le sourire
de quelques princes, ont avec doigté fait courir la sève des poiriers
aux bons endroits pour que le soleil y dépose des parfums plus subtils
que ceux de l'amour. Ces hommes, ces nobles étaient attentifs à
la chair . Ils savaient comment se greffent les rameaux sur des troncs
de trois ans. Ils taillaient les jeunes branches pour qu'elles profitent
du soleil et du déplacement de la sève. Cette économie du
bonheur consistait à aimer l'arbre avant d'aimer le fruit. Les très bonnes
poires n'ont pas de goût au sens ordinaire, elles dégagent des arômes
aussi particuliers que ceux des grands vins. Ils se suivent comme les
vagues d'une mer intérieure, demeurent en bouche et envahissent la mémoire.
On peut après vingt , se souvenir d'une poire. Les
temps ont changé puisque avec la chimie tout parfum peut résider
n'importe où..... Une truie peut sentir la caille. Dans ce contexte
de régulation des appétits, les poires perdent le nord. Je suis allé dans
le secret de certains vergers pour voir comment elles vivent leur nouvelle
vie. Elles se métamorphosent. Elles nous copient. Bref, elles nous ressemblent...
Mon père cultivait à l'ancienne quelques centaines de poiriers. Il m'éleva
comme ses arbres , en silence ou en chantant, dirigeant la sève à coup
de sécateur. Il faisait mal , mais je sus pourquoi après sa mort
. Un colonel de la wehrmacht organisa devant les soixante survivants d'un
bataillon de neuf-cents chasseurs , un défilé de parade et la présentation
des armes :" Vous...Braves soldats Français!" Juin 1940 ... Mon père
avait vingt-six ans. Je voudrais qu'on imagine quelques vies vies des
poires de ce siècle...