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5.30.2014

FRINGALES ....








Tous les chemins mènent-ils à Rome?
"C'était un fameux navire que le navire du forban, il avait cent lieues moins guère de l'avant jusqu'à l'arrière, un mousse aurait mis cent ans pour grimper dans ses haubans... On a bien fait de l'occire, ce sacripant  de navire... Car s'il existait encore, nous serions tous à son bord..."

Cette chanson fut peut-être chantée par votre père au-dessus de votre lit en bois quand vous aviez trois ans, de sorte que les navires vous furent étrangement familiers, comme la haute mer vue dans les pages des livres où les pirates pourrissent en cage de fer... Vous connûtes des îles où l'on enterrait des doublons d'Espagne, des diamants bruts et des perles arrachées aux fiancées de Séville qui avaient été expédiées au nouveau Monde avec des caisses de Zurbaran... Trois mois d'Atlantique, une halte dans un couvent de Carthagène, dix semaines sur des mulets pour voir le Pacifique, un autre navire allant jusqu'aux Philippines, quatre mois peut-être jusqu'à Manille aux églises folles, aux couvents peu surveillés et aux moines de sac et de corde. Avec de la chance les belles d'Espagne arrivaient encore vierges au mariage pour de fragiles alliances entre des familles séparées par une demi planète... Car s'il fallait de la chance pour qu'une fille passe la vingtaine et trois accouchements à Madrid, que ne fallait-il pas sur des navires bondés, secoués et poursuivis ?... pour passer des forêts étouffantes, boire des eaux malades, pourrir sans espoir dans les calmes plats, ouvrir enfin ses malles dans des maisons de bois visitées jour et nuit par les serpents, les araignées et les tarières... Curieuses Espagnes sur lesquelles ne se couchait pas le soleil... Incroyable écartèlement des corps et de la langue !... Trois ans parfois pour qu'une recommandation hâtive recoive une réponse immédiate... Tout Gouverneur agenouillé devant son Roi, savait que les retrouvailles se feraient aux cieux... Des hommes à perruques, rubans et talons rouges tinrent d'une main ferme un bâton d'amiral, habillés de ruineuses dentelles impropres à la guerre, allant aux abordages, portant vaille que vaille l'or et l'argent dans Séville... Parfois sur les dunettes passait une infante vêtue pour la revue des flottes au large de Cuba...

 
Comment naissent et meurent les peuples, flambe la jeunesse, disparaissent les craintifs? Tout suffit aux vieillards... Mais que suffisait à Fernando Cortès brûlant ses vaisseaux sous les yeux de sa maîtresse indienne? Quel autre que Bonaparte pour se faire voir du haut des Pyramides? Pensez aux paquebots à roues débarquant des épouses hollandaises en mer de Java, dont celle du nommé Dubois découvreur de Pithécanthropes... Vous rappelez-vous Loulou, Prince Impérial, trahi par une mauvaise sangle et percé par les zoulous?... Tel maréchal de France, dont Clémenceau jura qu'il eut toujours des couilles au cul, même quand ce n'étaient pas les siennes...
Où sont les "bons" peuples et les "bonnes" Histoires?... La République des petits saints bronze entre le Lubéron et l'Ile de Ré, tord le nez devant notre passé d'orgueil, plaide coupable de nos victoires... "Nous ne sommes que des mouches..." disait un sénateur usé devant une montagne de cochonnailles... C'est dans Pétrone , repris par Fellini... Certes notre Sénat n'est pas celui de Rome, mais si Paris valut une messe ce ne fut pas en baillant... 

Mensonge peut-être, comme sont mentis nos ancêtres Gaulois et d'autres fariboles d'instituteurs... Mais il faut des moulins à vent et des illusions pour supporter la saine fatigue d'être un peuple et faire du pataouète de banlieue trois phrases de Molière... Les Français ont-ils envie d'être ensemble?... Ils sont avec personne et avec tout le monde, ils détestent leurs pauvres, ils aiment ceux des autres... Ils adoptent à dix mille kilomètres et crachent dans la soupe. On ne compte plus les bedaines qui prêchent la pénitence et les queues basses qui chantent l'amour universel... Au fond de ce panier grouillent les minorités, les identités... toutes écrevisses marchant à reculons comme jadis les corporations, les provinces, les privilèges...
Les grassouillets partent sans payer, s'installent à Londres et à Bruxelles... Les vaches regardent le TGV... Un ministre annonce que la dette passe les 3000 milliards... Le Charles de Gaulle fête Trafalgar avec une hélice tordue. .. L'Education Nationale fête ses pourcentages dans le coma, comme Vichy fêtait ses jeunes filles ... Nous voilà mûrs pour un peu d'Histoire, une kermesse de méchancetés collectives, d'ouverture des armoires à balai... Les banlieues ont envie de promenades aux flambeaux... Qui la République fera-t-elle sauter sur ses genoux ? un nabot ? une dame de pique ?... Un gigot ?...Il se pourrait que la France se réveille avec la fringale...



ON A VU PIRE ?....








" Vous n'allez pas me croire, le Président m'a parlé de vous, il voulait trois pages sur les violences urbaines pour demain..." Maximilien se tenait au bord de la fenêtre et comme d'habitude, regardait sans voir.
Bôzes était enfoncé dans le canapé de Lyautey, offert au ministre par le roi du Maroc, avec son ordinateur sur les genoux. Il eut l'air de ne pas entendre, son pied droit battait la mesure et un sourire de satisfaction l'accompagnait à mesure qu'il suivait un texte en lettres bleues sur fond jaune..." C'est un blog, Max, une fille qui a tout vu tout entendu... vingt cinq ans... elle écrit mieux que Debray, Sollers, Desforges et consoeurs au même âge... j'en passe... Elle raconte la vie dans son quartier pourri... elle fait parler ses copains...elle a été l'élève de Jude Stéfan dans un lycée de sous-préfecture... elle bosse dans le dix-neuvième vers Max Dormoy... Pas mal, pas mal!..." Il releva les sourcils en direction du ministre, posa l'ordinateur sur le guéridon, croisa les mains sur sa nuque et dit avec lassitude " Maximilien je viens de recevoir un appel du Nain-jaune, il me demande lui aussi de faire une synthèse, il dit à tout le monde que Bel-Ami promet tout à n'importe qui, qu'il dit "nous" au lieu de "je"..., que sa fille pose dans les magazines et que le fiston prend de la hauteur..." 

Le Ministre leva les yeux sur le Philippe de Champaigne. Il se proposait de relire Saint-Simon... Il pensait au père de Montaigne qui sautait armé sur son cheval à près de quarante ans. Il s'étonnait de l'incroyable vigueur du premier dix-septième siècle, du rayonnement d'une langue qui durerait encore trois siècles... Il avait la nausée des proses contemporaines, sèches comme des triques ... proses de culs serrés, proses d'avocats du bon Dieu et de comptables, proses à tout faire du politiquement correct... proses des traîtres à l'homme et aux bêtes... proses morales d'épaves entretenues... proses de bons à rien sauf la prose... " Notre classe moyenne ne veut plus rien savoir, la France les ennuie, ne les intéresse pas, l'Europe non plus... ils sont essoufflés dans la tête, retraités avant l'heure... truqués par des erzatz de socialisme, de religion, des montagnes de culture pour demi-cons, ils n'ont d'amitié que pour leurs fesses... De quoi exciter les serials-killers... Au contraire le sac de noeuds des banlieues grouille du pire et du meilleur. " 

Bôzes trouvait qu'il y allait fort, mais ce qu'il aimait chez Maximilien, c'était sa façon de flamber la paperasse des énarques :"Max, il va falloir en finir avec la fausse égalité, appeler un chat un chat. Les arabes ne sont pas des gitans et les noirs ne sont pas juifs... Les harkis ne sont pas des immigrés, les roumains pratiquent l'honnêteté à leur manière et les chinois de Paris sont immortels... Ce n'est pas simple d'expliquer à un alsacien que les corses font partie de la famille... On me signale à Toulouse, c'est une bonne soeur qui m'envoie la nouvelle... une tour de quinze étages où les services sociaux ont mis des harkis, des manouches, des arabes et des maliens ensemble ! les ascenseurs sont cassés tous les quinze jours! ils en sont à dix réparations depuis juillet! on devrait tenir compte des ethnies et des cultures... vous avez affaire à des jacqueries de frustrés... tout cela va durer tant que la bourse grimpe avec le chômage ... priez pour qu'ils ne s'organisent pas trop vite parce qu'avec des chefs, du fric et un argot efficace ils auront de vraies armes... Il ne suffira pas d'entraîner le 27ème bataillon de chasseurs alpins à la guerrilla urbaine...Il faudra dix régiments avec le tiers des hommes provenant de l'immigration !...  Max, la République n'a plus vingt ans, le cheveu noir, la poitrine généreuse, la corne d'abondance à la main.. elle est blondasse, liftée, vaguement institutrice... et fauchée... elle ne sait plus danser, caresse ses chats et ne regarde plus les hommes... Max si la politique ne fait pas bander, la société finira sur le trottoir..."
Maximilien ne répondit rien. Il regardait immobile les bleus et les verts du Philippe de Champaigne, il se tourna un peu, une larme s'arrêtait de justesse derrière ses lunettes :" Enfin Bôzes, on a vu pire , non?..."

BLEU GAULOISE ....






" Qu'en pensez-vous?..." Maximilien fit un signe de la main vers le guéridon qui servait de maison de la presse dans le bureau du ministre. Il s'était approché de la fenêtre et se penchait un peu. Les énarques avaient perdu trois jours en discussions interminables. On était mardi. Demain le Président finirait le conseil par un coup de gueule:" Je veux tout savoir sur cette connerie, on se voit demain à neuf heures..."
Bôzes l'avait prévenu. Les journaux tiraient sur le scandale de la veille au Stade de France. Un poète connu et une jeune romancière s'étaient précipités pendant qu'on jouait la Marseillaise, ils s'étaient rangés près de l'équipe de France et déshabillés en quelques secondes... Cinq millions de téléspectateurs, l'ambassadeur d'Allemagne, des invités du ministre des sports et le Président lui-même les avaient vu brandir un cornet de glace à trois boules bleu-blanc-rouge, tourner sur le rond central et dérouler un calicot énigmatique où on lisait " Vive la Pelouse! ". "Max vous savez que ce malheureux tire à 900 exemplaires chez Gallimard... c'est une des plus fortes ventes de poésie française... et il en reste 500 sur les bras des libraires... calculez avec moi le pourcentage d'étudiants et de profs qui se privent de poèmes... Pas mal, non? " Bôzes serrait les lèvres. " Gosse, j'ai connu des garde-barrières et des ouvriers agricoles qui lisaient Victor Hugo. Cet été j'étais avec une ancienne de H.E.C qui passait et repassait Madonna dans sa Peugeot, dans sa cuisine et dans la salle de bain... J'ai déserté pendant la sieste et je ne sais plus ce qu'elle devient"
Maximilien connaissait la chanson, il avait des amis chez les Goncourt depuis que sa femme y laissait du Chiroubles, il avait rencontré des directeurs de revues littéraires à Venise et à Marrakech... "Bôzes, foutez-nous la paix avec cette histoire de pelouse... Je viens de recevoir les infos du réseau Proust, le prévisionnel sur 2020 est bouclé, on a pu le rafler à Londres grâce à la copine du nain-jaune... Lui n'est au courant de rien. Comme convenu, on le laisse pédaler dans la choucroute avant les élections... Farinaci m'a raconté que les corses lui promettent la lune en échange de quelques abandons d'enquête... Les nationalistes sont à cours de fric et d'idées, il leur a laissé entendre que s'ils cassaient  la CGT et faisaient semblant de fricoter dans le social on pourrait faire traîner les dossiers... Bel-Ami est dans une colère noire et le Président compte les coups..." Bôzes souriait en tournant une règle entre le pouce et l'index :" Pas mal, pas mal, Max!... mais dites-moi le papier de Londres, qu'est-ce qu'il raconte?"
Le ministre s'était calé dans son fauteuil. Tourné vers le Philippe de Champaigne, il laissait son regard circuler sur le tableau. Il venait de se rendre compte que tout y était pour détruire la symétrie, faire une sorte de mouvement perpétuel qui relançait la vision à chaque passage et suivait des pistes différentes selon qu'on s'était fait prendre par la couleur ou par la forme... Il plongeait dans le bleu gauloises de la tunique, un bleu étrangement moderne qui virait aux gris orangés dans les hautes lumières et se contractait de violet de cobalt dans les ombres. Ce bleu s'insinuait partout avec des variantes , se réchauffait dans les ciels ou venait s'alourdir aux pieds du vieillard sur la panse d'un vase à motifs dorés. Les chairs s'en sortaient avec un relief magique et le sang qui circulait dans ce corps était actif comme un rouge qui aurait été dissimulé partout sous les bruns et verts du paysage... Il se dit une fois de plus que l'Art ne sauvait que les sauvés, n'empêchait ni les guerres ni les famines, que l'horreur était aussi utile que la beauté... 
" Je devine ce que vous ruminez, lui dit Bôzes avec un accent de tristesse, il n'y a rien de chaleureux dans la connaissance, je n'y trouve que de l'effroi... Quelle que soit la manière, la vérité c'est Méduse sur un bouclier... Il faut aller vers nulle part... plonger sans retour dans une mer inconnue... compter sur la Grâce... Comment faites-vous pour aimer les hommes?... "
Maximilien devint grave et souriant :" J'en rencontre de temps en temps qui ne savent pas où ils vont..."

BENBOW .....









.............."Dites-moi, Bôzes, vous qui savez tout..." Maximilien s'était approché de la fenêtre, il se penchait un peu, le menton entre le pouce et l'index.
Bôzes avait l'habitude. Le Ministre s'énervait le mardi. Le Président se tournerait de son côté avec l'air de ne pas y toucher, attendrait la fin du Conseil : " Maximilien je veux tout savoir, on se voit demain à neuf heures..." " Monsieur le Ministre, nous avons peu d'éléments, Saint-Paulin m'a téléphoné la semaine dernière, le Nain-Jaune a la migraine, son équipe n'a pas travaillé là-dessus et à gauche ils sont aussi courts que nous sur la question..."
" Je me f... de toutes les migraines du gouvernement et de l'opposition, je veux de quoi tenir deux heures et lui laisser du grain à moudre... "

Le Président avait du flair. Une amie de jeunesse, peu farouche mais tombée en religion, lui avait glissé entre la poire et le fromage que les états-majors du Secours Catholique et d'ATD Quart Monde préparaient un pavé de six-cent pages sur les pauvres de France, bourré de toutes les statistiques que Bercy et l'Intérieur cachaient depuis des années. Quand les Socialistes repiquèrent à droite, des guêpes lâchèrent que la gauche était en retard d'une guerre et en avance d'une trahison... La droite, en son temps, avait fermé les yeux sur la désindexation du dollar et l'écrabouillage programmé de l'Etat Providence... elle les écarquillait sur l'incroyable tour de passe passe qui permit de désosser la classe ouvrière dix ans après soixante huit... Il fallait se rendre à l'évidence : elle était aussi facile à réduire que le fut la paysannerie millénaire... Le peuple s'écartant de la politique, les élus se firent élire de père en fils et les victimes basculèrent chez Le Pen... L'eau dans le gaz, ce n'étaient ni la Pyramide du Louvres, ni le sang contaminé ni les hélices du Charles de Gaulle... Le président voyait venir :" Qu'est-ce qu'on va faire des pauvres ? Ils vont se taper des pommes ?..."

"Vous savez, Max, le danger c'est qu'ils aient des idées. Ils vont à l'école jusqu'à seize ans et bien qu'on les prive de connaissance , qu'on les gave de discours sur l'esclavage, le racisme, les discriminations, la planète qui fout le camp, les amphibiens, les baleines... Ils restent bons pour le zapping... Au fait, Je vous ai retrouvé cinq lignes de Benbow, il écrivait ça en 1832:
.............." Si nos seigneurs et maîtres ont de très bonnes raisons pour nous maintenir dans l'ignorance, nous en avons de plus fortes encore pour acquérir la connaissance... Le savoir dont nous avons besoin est très facile à acquérir; ce n'est pas celui qu'on acquiert dans les écoles ou dans les livres... La connaissance dont nous avons besoin est celle de nous-mêmes : la connaissance de notre propre pouvoir, de notre immense puissance et du droit que nous avons de mettre en action cette immense puissance"

"C'est cruel, Bôzes, on se tape autant de pauvres qu'au temps de Victor Hugo, les prisons débordent! Mais dites-moi, ce Benbow, c'est l'inventeur du terrorisme ou quoi? "
" Non, Maximilien, de l'action de masse... Je vous dis qu'un de ces jours vos pauvres finiront par penser ensemble, qu'ils détesteront qu'on leur refile du porno et du "vas-y mon gars!..." en guise d'économie politique... Vous aurez des sabotages sur les bras et des villes à surveiller sans pitié... et je ne parle pas des frontières..." Le Ministre se leva sans répondre, il s'approcha du Philippe de Champaigne... il s'attarda sur les arbres, le bleu de la tunique, les passages subtils d'ombres à lumières et de formes pleines à contours de nuages, le vieillard athlétique au regard aiguisé par les jeûnes et les textes. Il ne comprenait toujours pas comment sortirent des images aussi raffinée d'une époque aussi dure.
" Bôzes, vous croyez vraiment ce que vous dites? "
" Maximilien, il n'y a plus rien entre les pauvres et nous... Avant il y avait un fleuve, une mer, des océans... et Dieu... Il va falloir trinquer ou tirer dans le tas. Vous imaginez la République, se tapant des sardines à la cave et finissant les restes?... Voilà ce que vous devez dire au Président."