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3.10.2014

FLEURS ...





Des créatures sous le soleil prennent des formes, jouent de l'ombre et de la lumière comme si le jour et la nuit n'existaient plus, se donnent des volumes surprenants, accumulent les courbes et leurs contrepoints, ondulent au vent, s'ouvrent sous le ciel, laissent voir et frémir les parties les plus intimes de leur chair... Leurs apparences fort singulières se doublent de parfums sauvages ou savants qui attirent l'attention bien avant qu'on les respire. Cet exhibitionnisme a quelque chose de sacré quand il joue avec le nombre d'or, on ne sait quelle divine proportion si différente de nos symétries habituelles. On dirait que ces créatures sont à l'apogée de leur existence, que pas une de leurs cellules n'est en trop ou en moins, que le temps s'arrête et que l'espace vibre autour d'elles d'une musique qui les traverse et les copie. On sent qu'il faut s'en approcher, que nous sommes invités à une visite sans fin, que notre curiosité sera merveilleusement récompensée, qu'on nous réserve les meilleures places du spectacle... Nos ancêtres y furent attentifs bien avant de savoir compter et faire des phrases. 
Les néandertaliens aimaient les fleurs et en disposaient sur les morts. Cette complicité de la nature et des hommes est universelle depuis que nous avons le goût des métaphores. On se parfume et on s'habille... De miracle en miracle un singe devint Apollon et sa guenon se tint sur les eaux comme la Vénus de Botticelli. On essaie d'imaginer l'immense succession des regards lancés par l'Australopithèque et finissant sur les tapis rouges de la Haute-Couture... 
On ne peut voir ici que divines interventions et force mythologies, car la Nature nous est aussi étrangère que les galaxies lointaines. Nous sommes encombrés de vieilles lunes car nous désirons dans les fleurs d'autres nous-mêmes, fort satisfaits de nos apparences et persuadés qu'une mère attentive et nourricière veille sur nos plaisirs. Lucrèce et Virgile l'ont chantée à leur manière , Hippocrate la saluait bien bas et Rousseau qui n'y connaissait pas grand chose, versait des larmes rien que d'y penser. La Beauté fut là où se débrouillait la vie avec adresse et imprévus,  construite dans les formes et les contours, saisissable comme une mélodie, passant les murailles et affolant les jours ordinaires. Nous fûmes ainsi consolés de notre brièveté et de notre inachèvement. 
 L'ignorance facilite les consolations. Pygmalion ne perçut pas de limites à son désir. La foi des charbonniers remue des montagnes. La Beauté est donc plus certaine que l'absolue froideur et indifférence des astres. Casanova fit ses classes à Venise, des lords moururent ayant vu Naples et dans la course au chef-d'oeuvre on peignit les femmes en récitant des vers... Les âmes ne se fâchaient pas de hanter les corps et la Beauté frissonnait dans les statues de Praxitèle et Canova... Des hommes pressés de tout savoir, bardés d'optique et de chimie s'approchèrent davantage des fleurs... La Beauté devint moderne à force de jeter les yeux sur les locomotives et de s'extasier sur les performances des canons Krupp... Les fleurs apparurent pour ce qu'elles étaient : des machines à capturer les mouches et féconder les plantes... La Beauté changeait de camp:  les sourires s'adressaient aux premiers imbéciles venus et les mines se refermaient dès que l'ovule avait son compte... La fantaisie sera-t-elle encore de ce monde, car  il n'y a de divine surprise que si l'on ferme les yeux et se trompe d'aventure?
Mais tant qu'à faire de vivre un peu, soyons princes et sauvons les bergères... Les illusions rendent moins fou que l'absolue vérité.




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