Des créatures sous le soleil prennent des formes, jouent de l'ombre
et de la lumière comme si le jour et la nuit n'existaient plus, se
donnent des volumes surprenants, accumulent les courbes et leurs contrepoints,
ondulent au vent, s'ouvrent sous le ciel, laissent voir et frémir
les parties les plus intimes de leur chair... Leurs apparences fort singulières
se doublent de parfums sauvages ou savants qui attirent l'attention bien
avant qu'on les respire. Cet exhibitionnisme a quelque chose de sacré
quand il joue avec le nombre d'or, on ne sait quelle divine proportion si
différente de nos symétries habituelles. On dirait que ces
créatures sont à l'apogée de leur existence, que pas
une de leurs cellules n'est en trop ou en moins, que le temps s'arrête
et que l'espace vibre autour d'elles d'une musique qui les traverse et les
copie. On sent qu'il faut s'en approcher, que nous sommes invités
à une visite sans fin, que notre curiosité sera merveilleusement
récompensée, qu'on nous réserve les meilleures places
du spectacle... Nos ancêtres y furent attentifs bien avant de savoir
compter et faire des phrases.
Les néandertaliens aimaient les fleurs
et en disposaient sur les morts. Cette complicité de la nature et
des hommes est universelle depuis que nous avons le goût des métaphores.
On se parfume et on s'habille... De miracle en miracle un singe devint Apollon
et sa guenon se tint sur les eaux comme la Vénus de Botticelli. On
essaie d'imaginer l'immense succession des regards lancés par l'Australopithèque
et finissant sur les tapis rouges de la Haute-Couture...
On ne peut voir ici que divines interventions et force mythologies, car la Nature nous est aussi
étrangère que les galaxies lointaines. Nous sommes encombrés
de vieilles lunes car nous désirons dans les fleurs d'autres nous-mêmes, fort
satisfaits de nos apparences et persuadés qu'une mère attentive
et nourricière veille sur nos plaisirs. Lucrèce et Virgile l'ont chantée
à leur manière , Hippocrate la saluait bien bas et Rousseau
qui n'y connaissait pas grand chose, versait des larmes rien que d'y penser.
La Beauté fut là où se débrouillait la vie avec
adresse et imprévus, construite dans les formes et les contours, saisissable comme une
mélodie, passant les murailles et affolant les jours ordinaires.
Nous fûmes ainsi consolés de notre brièveté et
de notre inachèvement.
L'ignorance facilite les consolations. Pygmalion ne perçut pas de limites à son désir. La foi des charbonniers
remue des montagnes. La Beauté est donc plus certaine que l'absolue
froideur et indifférence des astres. Casanova fit ses classes à
Venise, des lords moururent ayant vu Naples et dans la course au chef-d'oeuvre
on peignit les femmes en récitant des vers... Les âmes ne se
fâchaient pas de hanter les corps et la Beauté frissonnait
dans les statues de Praxitèle et Canova... Des hommes pressés
de tout savoir, bardés d'optique et de chimie s'approchèrent
davantage des fleurs... La Beauté devint moderne à force de
jeter les yeux sur les locomotives et de s'extasier sur les performances des
canons Krupp... Les fleurs apparurent pour ce qu'elles étaient :
des machines à capturer les mouches et féconder les plantes...
La Beauté changeait de camp: les sourires s'adressaient
aux premiers imbéciles venus et les mines se refermaient dès
que l'ovule avait son compte... La fantaisie sera-t-elle encore de ce monde, car il
n'y a de divine surprise que si l'on ferme les yeux et se trompe d'aventure?
Mais tant qu'à faire de vivre un peu, soyons princes et sauvons les
bergères... Les illusions rendent moins fou que l'absolue vérité.
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