Grimper de 1000 km pour se rapprocher des étoiles, remonter le temps de quinze milliards d'années, construire des machines grosses comme des villes autour d'une poussière, passer entre les grains de lumière pour en savoir davantage... La Nature ne freine ni les curieux ni les envahisseurs. Elle se pousse un peu plus loin chaque fois, use les explorateurs et gonfle les budgets. Nous sommes revenus de la Lune avec une remorque de cailloux. Nous rêvons de creuser des puits sur Mars pour planter des choux, se donner un drôle d'air et célébrer quelques anniversaires. Nous avons lancé des capsules entre les anneaux de Saturne, observé des tempêtes sur Jupiter, lorgné des océans de méthane ou des sphères de glace... Nous ne savons pas encore marcher la tête en bas, mais les auteurs de science-fiction nous disent que nous aurons la Terre au-dessus de nos lits et que nous regarderons tranquillement voler les mouches avec des lunettes numériques. Dix milliards de voyageurs entre le Soleil et le reste du monde, seront outillés pour vivre deux siècles sans névroses ni dépressions... Il se pourrait que les meilleurs aient des ailes dans le dos et que les méchants ne vivent que cent ans.
Vous l'avez compris, il n'est pas séduisant d'avoir les pieds sur Terre si tôt dans le siècle. Les jours se traînent encore comme les chars à boeufs des rois fainéants, les murailles des villes puent le gazole et les hommes avertis se cachent dans les herbages et derrière les haies.
Si vous ouvrez quelque fenêtre il se pourrait que vous tombiez sur une bibliothèque, là où jadis pendaient des jambons... les livres s'échappent des mains de la jeunesse, les scribes fuient comme fuirent les poètes de la Ville éternelle, lassés du Cirque, fatigués des barbares et des chrétiens... Attendre la fin du monde près d'un ruisseau à truites, s'amuser des lapins et des merles de l'aurore, des grues cendrées de l'après-midi... Dans un coin vous trouveriez aussi des ordinateurs pour voir plus loin que le bout de son nez, mesurer la température du globe et surveiller la montée de ses eaux. Vous prendriez un siège près des salades, songeur devant les romaines, vous pencheriez du côté de Pascal Quignard, en vous disant qu'il se fait plus de musique près des carpes et dans les branches que n'en peuvent les antichambres des rois et les zéniths de la démocratie. Vous ragez en somme d'avoir trop d'espérance de vie dans un monde si peu varié ... Car lorsqu'il fallait plumer une oie pour écrire, prendre l'encre d'une seiche, sabler sa feuille avant de la plier, les hommes et les femmes faisaient des miracles et des feux d'artifices avec des cervelles défuntes à trente huit ans de moyenne... Il vous arrive de penser que les merveilles du monde ne sont plus à nos portées, vous essayez de voir le ciel sans traînées d'avions ni fils électriques. Il y avait des lions dans l'Atlas et des éléphants sur les bords de l'Euphrate. On vit dans les forêts de Teutoburg blanchir les os des légionnaires de Varus. Les derniers aurochs moururent en Hongrie vers l'an mil. Au Vinland une poignée de danois planta une pierre gravée. Les archers du Premier Empereur montent la garde depuis vingt siècles au bord d'un fleuve de mercure où pêchent des oiseaux de bronze et jouent des musiciens de terre cuite... vos racines vous disent qu'il y eut plus d'enfers et de paradis quand les hommes étaient loin les uns des autres et la Terre immense...
Que nous serons dix milliards à parler d'amour et d'égalité dans un pot de chambre, dérangés par les cafards et saoulés de sentiments par des amnésiques... Puis avides de vacances entre la Lune et Mars.
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