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12.04.2013

CONFIDENCES ...








J'ai de la chance. On voulait que j'aime mon prochain comme moi-même. J'ai profité des circonstances pour avaler tout le Latin nécessaire et pas mal de Grec... Telles furent mes premières armes. Je m'en trouvai si bien et je lus tant d'histoires que je devins étranger dans mon pays et tout juste cousin de mes frères ... Je n'ai pris pour maîtres que les moins défunts des morts car je m'étais aperçu que les vivants sont peu civilisés. Ils sont si sauvages qu'ils ne parlent que du Bien qu'il faut faire et du Mal qu'il faut punir. Rares, ceux qui voient l'Homme déshabillé, inconstant des deux côtés du nombril, poète et baiseur, juriste et bandit, tueur et compatissant. Les apôtres sont dans les livres, les hommes sur les champs de bataille, au bordel ou faisant à quatre pattes le tour du veau d'or. On dit trop de messes, on prononce exagérément le nom d'Allah, on brûle trop d'encens sur les cadavres pour que les anges soient plus nombreux que les démons.
Je devins expert en certificats de bonne conduite, bien décidé à survivre : dispenser des conseils aux autres et n'en faire qu'à mon bon plaisir. Lorsqu'on interroge la morale et la vérité en trois langues, elles donnent des migraines, il faut prendre le parti de sa solitude et chercher ailleurs des raisons d'être là. Les bonnes adresses sont dans les forêts, dans les cascades sous les frondaisons, à la belle étoile en Août et partout quand y abondent les appels et les traces de bêtes... Ce n'est pas que la Nature est belle, c'est qu'elle est prodigieusement indifférente à nos esprits noués... Qu'avec ou sans conscience nous lui sommes redevables de corps et que pendant des millions d'années nous n'avions que le corps pour juger du monde et passer outre...
Le Bonheur, ce vieil ami des ivrognes et des nourrissons, n'a rien à voir avec le juste prix de la vie. Les prêtres le promirent à tours de bras et d'indulgences, la main du Prophète, noueuse à souhait, l'offrit au tranchant de son sabre ... mais c'était dans l'au-delà et aux dépens du corps et des femmes... On ferait bien de s'aviser que sous prétexte d'égalité, les philosophes n'ont fait du bien qu'avec parcimonie et que les instituteurs firent au carré le lit des boucheries de Verdun et de la Somme... D'autres artisans du Bonheur, comme Henri Ford qui avait son portrait dans le bureau du Führer, firent du parti nazi un parti de masse... Ce n'est pas un hasard si tant d'esprits "lucides" après 1920 puisèrent des énergies neuves dans la Troisème Internationale et le paradis de Staline... On n'en finit plus d'approcher du Bonheur et d'être ensemble pour l'éternité... Ils appelaient cela la "fin de l'Histoire", comme d'autres avaient parlé de la "fin du monde" et comme beaucoup parlent aujourd'hui de la "mondialisation", nouvel Age d'Or... Si vous aviez trois sous de jugeote vous comprendriez que les hasards de l'évolution font la part trop belle aux cerveaux malades et aux pulsions de mort.
Dans les mondes recuits les corps sont notre dernière chance. Ainsi vécurent d'étranges créatures de femmes au siècle de Napoléon III et de la reine Victoria : Isabella Bird évadée d'un presbytère écossais, de la maladie et de l'ennui pour cavaler dans les rocheuses en compagnie de desperados... Alexine Tine, richissime hollandaise, refusant les hommes, cherchant en vain les sources du Nil, tuée par des touaregs avec ses domestiques et femmes de chambre aux confins de la Libye... L'extraordinaire Mary Seacole, métisse de la Jamaïque, épicière et infirmière bénévole de la guerre de Crimée, honorée jusqu'à sa mort par toute l'armée britannique.... Ida Pfeiffer, autrichienne et vierge puritaine, exploratrice infatigable de Borneo... May Sheldon, la Reine Blanche du Kilimandjaro.... sauvées par leur inflexible solidité de corps du bourbier de la vie reçue.

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