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12.09.2013

QU'EST-CE QUE C'EST ?...(PEINTURE)






Vous me demandez ce qu'est la Peinture. Je devine que vous êtes cultivé, que vous connaissez l'Histoire de l'art ou ce qui s'appelle comme cela, que vous êtes gêné par l'inflation des actions culturelles et des publications. Je ne suis pas sûr de répondre à vos attentes, mais c'est une conversation et je vais éviter le piège d'une réponse trop savante.
Je n'en sais rien et c'est tant mieux. J'ai rencontré la Peinture chez un artiste de Lyon qui s'appelle Jacques Decerle. C'était en soixante six ou sept. Il avait sous le nez un petit tableau à fond gris et travaillait une combinaison de jaune-noir-violet-bleu. C'était une nature morte de citrons et d'aubergines. Il avait aussi des séries de grands tableaux en noir et blanc, avec des effets très calculés de matière sur des plans découpés, basculés ou dressés qui venaient tout droit des étalages de pommes de Cézanne. J'ai tout de suite senti qu'il y avait un mélange de calcul et d'affectivité, que l'un ne va pas sans l'autre, qu'un tableau distille de l'énergie, de l'intelligence, de la personne...Tout cela se passait dans un squatt de la rue Mercière. Je n'ai commencé à peindre que plus tard. J'allais de temps en temps au musée de Saint-Etienne (c'était l'époque de Claude Allemand) et à Lyon au palais Saint-Pierre. Je m'étais mis à la Photographie et je travaillais sur les chantiers archéologiques de la région Rhône-Alpes comme vacataire du C.N.R.S. C'est en Normandie que je suis passé à la peinture

Dans une "ville" qui ressemble à une chenille posée sur une corbeille de fleurs (Madame de Staël), contraint de vivre l'ordinaire d'une profession ordinaire, saturé de petites fêtes, je me suis fait de l'espace. La Peinture est un artifice. Je passais des heures à organiser dans des rectangles des rapports de force entre des boules, des flèches, des barres... Je les faisais en équilibre ou en mouvement, je dosais les poussées, les vitesses, les résistances... Je m'apercevais que certaines couleurs freinent, alourdissent et chauffent, que d'autres éloignent, glacent, éteignent etc...que des équivalences à la douleur, à l'humour, à la vitalité peuvent être placées dans un plan, que nos forces vives peuvent se frayer des sorties et turbiner dans ce plan. Cette gymnastique est une prise de conscience. Elle vaut cher, elle est irremplaçable car vous ne "passerez" pas de la littérature à la Peinture, d'une théorie de l'Art à l'oeuvre peint, d'un fait de société à un fait pictural. On ne "passe" pas aux terres vierges en cheminant dans les jardins publics, la Peinture n'est pas le bouquet de la mariée.

Je me suis enseigné à moi-même. J'ai lu les peintres, regardé les oeuvres, pratiqué les historiens d'art. Si j'avais eu peur du ridicule je me serais arrêté à la connaissance du patrimoine, j'aurais regardé en prose, endossé l'air du temps et collé des affiches. Je me suis fait mes outils, je m'y suis tenu et j'ai parlé ma langue chez moi. Je n'étais pas dans l'Art : j'agrandissais ma vie et mes sensations, je construisais mon histoire, j'étais confiant. J'ai eu la chance d'être renvoyé dans les cordes au bon moment : lors de ma première exposition j'avais commandé deux cents affiches et j'en avais distribué cinquante accompagnées d'invitations à cinquante "professeurs". Il n'en vint que deux au vernissage... Jude Stéfan et un jeune africain stagiaire dont j'ai oublié le nom... J'ai eu la chance irremplaçable de rencontrer de vrais peintres, de fréquenter assidûment la Galerie Cavalero en 78-80 où nous passions des heures le nez sur les tableaux.... A vingt ans j'avais répondu à une fille que j'aimais et qui m'avais demandé ce qui m'intéressait dans la vie :" La seule chose qui m'intéresse, c'est de voir et de comprendre avant de partir." J'étais un mal élevé...Je ne l'ai revue que 40 ans après...

Vous voyez qu'on ne peut pas tout dire. Si vous étudiez les techniques, les gestes, les ingrédients, épuisez les dictionnaires, visitez les musées, faites toutes les expositions, vous pouvez perdre la tête...  Vous n'avez pas besoin de modes d'emploi, campez devant le vide, tremblez et faites vous-même le nécessaire pour ne pas tomber. Dites vous ce que disait Socrate à qui voulait escamoter la vie " Connais-toi toi-même..." . Le meilleur de l'homme vibre quand il se fait des outils. Ceux des peintres vous jettent en enfer et vous installent au paradis à la vitesse de la lumière... Pourtant les tableaux sont aussi des marchandises... Pourtant il y a les grands, les petits et les mauvais ... etc... Rassurez-vous, la Peinture se présente ou s'absente quand on la fait mais cela n'arrive pas à tout le monde et cela ne se fait pas en sifflant. Ailleurs, c'est de l'Art comme disent les orateurs...: tout un chacun peut s'y frotter : Inscrivez-vous à la Sorbonne, faites des stages, présentez des thèses, apprenez à vivre dans la collectivité, surveillez vos fréquentations, lisez les bonnes revues, voyagez, visitez,écoutez...Vous saurez ce qu'il faut dire quelles que soient les circonstances et si vous avez encore trop peur d'être idiot, faites confiance aux commissaires priseurs ...


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