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4.24.2014

EN FAMILLE ....








L'oeuvre des hommes est une vague imitation de celle des dieux. Par exemple nous faisons pousser des courges sur du fumier. A l'âge d'or, il suffisait de tendre la main pour cueillir les fruits de la Terre, nous n'étions ni nombreux ni pressés... Y-eut-il un âge d'or ? Rien ne le prouve... Mais il faut quelques beaux mensonges... Les pères nobles, les saintes femmes, les bergères et les princes charmants nous protègent de nos démons, comme les épousailles nous protègent des orphelinats... Contre les loups nous avons inventé le feu et la famille pour faire pièce aux embuscades et aux mauvaises rencontres... Puisque les sexes vont par paires, autant que ce soit à domicile ... D'autre part les pauvres bougres ne sont pas fainéants : quand la technologie le permet, ils se battent. Les forgerons furent accoucheurs de Noblesse car les épées permirent aux féroces de capturer des épouses et de soumettre les tranquilles... Les rois, premiers entre les égaux, surent aussi s'entourer d'hommes de plume et d'hommes de lois. Car les encriers sont à la longue aussi efficaces que les hallebardes et parce que l'argent qui fait le bonheur des états, permet de forger des canons, d'équiper des vaisseaux et d'entretenir des ambassadeurs... Mais un jour les plumes se mirent à courir sur des cahiers de doléances réclamant la fin des impôts et des réquisitions militaires. Pour tordre le cou des bons à rien on coupa celui des têtes royales, on doubla les taxes et on rassembla des millions de paysans sur les champs de bataille de l'Europe... 

Les humbles purent enfin voyager de Madrid à la Moscovie, porter d'autres habits que ceux du dimanche et chanter " ça ira!" sur des routes jadis fréquentées par Mozart et Casanova. Les enfants du peuple avaient échangé 200 000 parasites à particule contre deux fois plus  de fonctionnaires chargés de faire appliquer la "volonté générale", celle des bureaucrates, préfets, ministres, colonels, inspecteurs de police, receveurs des contributions , directeurs des beaux-arts et autres bras du Pouvoir... Romanciers et poètes, les plus sensibles aux changements de saison, surent dans ce monde neuf composer les chants les plus beaux et les plus désespérés... 

On n'arrête pas les progrès du Politique, aussi nerveux que les machines et les explosions urbaines. Mon grand-père naquit en 1864, au temps de l'impératrice Eugénie et avant le canal de Suez, il mourut en 1945, année zéro de l'Europe, de l'atome et de la civilisation... Il est probable que je verrai le gulf-stram prendre des vacances, la moitié des français saluer des patrons chinois ... l'autre moitié perdre l'entière  mémoire de nos grandeurs... On ne peut guère s'échapper de son temps et si Rome n'est plus dans Rome, il ne sert à rien d'empiler des lois pour interdire l'amnésie, de distribuer des langues de bois pour chanter que "Tout va très bien..." Mais il y a mille façons de se moquer du temps, il suffit de commencer en famille...

NI CESAR NI ALEXANDRE ...








Il n'était ni César ni Alexandre. On prétend qu'il naquit d'une vierge et que cette fille-mère avait été prévenue de son arrivée. Il aurait appris le métier de charpentier, mais à l'âge d'homme il se lança sur les routes et se mit à parler. Le monde n'a jamais manqué de bavards ni de prophètes. Mais ils répètent ce que l'on sait : que la vie est brève, la jeunesse étourdie, la vieillesse un naufrage... Qu'une hirondelle ne fait pas le printemps et qu'il n'y a pas loin de la douleur au plaisir. Voilà justement ce que nous n'aimons pas entendre et que nous savons cependant sans nous rendre à l'école car il suffit de naître pour avoir de la peine ... 

Celui-là fut d'une autre trempe. Il eut tant pitié de ses semblables et les trouva si stupides qu'il choisit de leur raconter les plus extraordinaires sornettes de tous les temps. Il dit qu'il venait du ciel pour remettre les compteurs à zéro, que son père avait accepté sa métamorphose et pour prouver aux hommes qu'il ne parlait jamais pour ne rien dire il ajouta qu'il mourrait comme eux et qu'après trois jours de linceul il reprendrait ses esprits. Il s'arrangea pour excéder les notables et les instruits en racontant des histoires inadmissibles où les riches ne risquaient pas plus de passer par le trou d'une aiguille que d'accéder à la vie éternelle, alors que les pauvres et les simples raflaient toutes les mises... Passe encore de promettre la lune à qui n'avait rien, mais il fréquentait des prostituées et s'entourait de désoeuvrés. On raconte qu'il fut capable de changer de l'eau en vin, de ressusciter des morts et de remplir d'énormes corbeilles de pain et de poisson le dos tourné... Mais le pire fut qu'il pria les maîtres et les esclaves de s'aimer les uns les autres... Un tel mépris des réalités le conduisit à la potence. On le couronna d'épines, on lui cracha à la gueule, on le fit "Roi des Juifs" en l'affublant d'un manteau ridicule. Puis il dut gravir une colline en portant une croix sous les quolibets, comme le dernier des derniers. On le cloua sur ses bouts de bois jusqu'à ce qu'il meure convaincu de son impuissance... L'histoire aurait pu s'arrêter là mais son cadavre disparut trois jours après : quelques bonnes âmes crurent à sa résurrection, quelques autres eurent des visions et tous ceux qu'il avait enseignés se lancèrent à travers l'Empire pour répéter ses paroles, dire qu'il avait pris sur son dos l'abomination des hommes et qu'ils étaient libres de tenter leur chance pour une vie meilleure... On raconta tant de choses sur son compte que les bibliothèques suffirent à peine, que les empereurs furent obligés de baiser les pieds de ses héritiers, de leur construire des palais, d'y brûler des parfums, d'avouer que sur un trône céleste gardé par les anges, il rendrait la justice à la fin des temps, vêtu de soie et d'or, terrible avec les méchants et juste avec les justes...

Tel fut le plus extraordinaire menteur de tous les temps, croyant à ses mensonges et dévoué corps et âme à ceux qu'il prenait pour ses créatures, convaincu de leur cruauté, de leur orgueil sans limite, de l'extrême légèreté de leur conscience et de leur mémoire... Il joua tous les rôles, sautant sur les genoux de sa mère, redoutable dans la discussion, faisant des miracles, soumis au fouet et torturé à mort... Son numéro ne s'arrête pas là puisque son cadavre s'évanouit du tombeau et que de temps à autre il se montre aux âmes de bonne volonté... Il est sur toutes les routes, à tous les carrefours où se croisent les hommes, n'en finissant jamais d'avoir réussi son coup, penché sur le côté de sa plaie, plus humain que tout le monde car abreuvé d'injures , plus dieu que jamais car cible de tous les diables... On pique-nique sous la croix, on y  apporte des fromages et des saucisses, on y boit des vins ambrés et on y guette les reins des pécheresses... tranquille à cause de l'Autre, qui donna son corps à manger et à boire.....



PRINTEMPS ....






DES JARDINS ....







.........................................Les jardins durent plus longtemps que leurs jardiniers. On se promène à Versailles, les nymphéas de Monet flottent toujours sur les étangs de Giverny. Il n'y a pas de village sans jardin, ni de grand homme loin des squares. Qu'est-ce que cela veut dire? A Babylone ils étaient suspendus, furent des merveilles du monde. L'Homme raconte qu'il naquit dans un jardin, qu'il s'y réveilla près de la première femme. Ils y goûtèrent aux fruits amers de la connaissance, ayant parlé au Diable et choisi de quitter l'enfance... Ils en furent chassés comme des malpropres par un névrosé. Il y eut d'autres jardins extraordinaires comme celui de la Dame à la licorne ou ceux de Jean de Berry dans les Très riches Heures... Les Humanistes déclinèrent du grec et du latin dans l'Hortus Quadratus des aventures de la Renaissance. Se multiplièrent les labyrinthes sous les châteaux, propices aux baisés volés. On y vécut ce que vivent les roses, on y donna de l'épée, on y récita des vers et on y soulagea les ventres fatigués ... La Nature fut ainsi amicale, habitée de nymphes et de cortèges  pour Cythère, complice des divinités et des hommes.
Les jardins d'aujourd'hui nous ressemblent, plus doués pour le spectacle que pour la méditation. On y convoque les signes de notre compréhension des choses, on s'y donne rendez-vous pour dire son amour de la planète et de la société... On les peuple parfois d'objets révolus comme si les mondes passés rassuraient davantage... Nos cruautés restent aux portes  et n'y entrent que nos bonnes parts plus un peu de drogue, de seringues et de nostalgie... Il n'est pas dit que nous sommes humbles dans les jardins, moins fous, plus charitables ou plus heureux, mais nous les aimons parce que lieux supposés d'enfance et de repos, dévoués aux corps, modèles réduits d'un agencement désirable du monde......


4.14.2014

LES JOURS ....




Les empereurs de Rome avaient les pieds sur Terre et un sixième sens de la Politique. "Je sens que je deviens dieu" dit à la veille de sa mort Titus Vespasianus, qui remplit les caisses de l'Etat en taxant les pissotières, sources intarissables. "Ai-je bien joué la comédie de la vie ?..." demandait Octave Auguste qui avait raflé l'Orient et l'Egypte de Cléopâtre, perdu trois légions en Germanie, fondé l'Empire et engendré des filles impossibles. "Quel artiste périt!" gémit Néron, le poignard sur la gorge, qui avait chanté l'incendie de Troie sur les terrasses du Palatin devant un brasier de la Ville éternelle, livré les chrétiens aux bêtes, parcouru la Grèce avec une cithare en char et costume d'Apollon... On ne peut pas en dire autant de Louis XVI dont la tête roula dans le panier des droits de l'Homme, tenu aux anses par des citoyens vertueux.
Il y a des vies longues et courtes. Le manège tourne. On grimpe. Un monsieur ou une jeune fille font gigoter un pompon. Si on se lève au bon moment, on l'attrape pour gagner un tour. Faire des tours et des tours, c'est la vie mais tous les manèges ne sont pas équipés de pompons. La ronde présage de sa fin. Pour les enfants ce n'est pas grave car le monsieur qui est aux commandes a le sourire. La Terre ne fait que des tours, nous ne le savons pas depuis longtemps et la moitié des hommes croient que le Soleil tourne autour d'eux comme la roue du Destin. Les étoiles ont la cote depuis que des rois mages ont suivi celle de Bethléem jusqu'à une étable. Le manège des grandes personnes les entoure. L'enfance , l'amour et la mort y jouent les trois temps de la valse. Le reste n'est que décor, clins d'oeil et petits signes. C'est une valse étourdissante où les aveugles voient des mirages, où le pompon fait curieusement gagner de la solitude et du silence...
Nos étoiles ne sont plus chamaniques, nos astrologues gravissent des montagnes de mathématiques, traversent des mers de philosophie, entassent des mégatonnes de livres et de disques durs... Les fruits de la connaissance nous ont virés du paradis terrestre : nos amours sont enfants de Caïn et nos plaisirs ne s'éloignent jamais de notre nombril. L'histoire de nos bonheurs tient sur quelques timbres-poste. Nous sommes abusés par nos foules, réduits à de pauvres chimères: les peuples élus, les vertus citoyennes et les profits planétaires... Deux siècles de progrès techniques, de chants d'amour et de liberté n'ont empêché ni les avions de chasse, ni les tanks, chambres à gaz et feux nucléaires ... Nous avons converti les armes chimiques en produits phytosanitaires, nous vivons dans une soupe de molécules cuite par des sorciers amis des banques ... nous trafiquons les gènes et le sport... Nos innocents sont aussi dangereux que nos traîtres, nous tournons en boucle dans le diaporama des blancs rateliers de "stars", des vulves poilues ou sans poils, des pines en l'air sous des abdominaux en tablettes de chocolat... des têtes de mort dans les métros et les médias... L'affaire semble jouée, définitive : 1 pour cent de Goldman S... ou l'équivalent en guise de créateurs, 9 pour cent d'instruits pour relayer  les décisions et les exécuter, 90 pour cent de "consommateurs-citoyens" qui marchent au sifflet des médias, n'ont rien à comprendre et pas grand chose à faire, alourdis de cul, d'alcool et de dope... Car les clones ont du coeur, c'est connu, des sentiments, des petites faiblesses... Ils sont aussi vulnérables, à la merci d'un accident de laboratoire...  Tel pourrait-être le lendemain qui chante . L'écart des savoirs est en accélération constante... Suit l'exponentielle obésité de la " Communication", les marées d'images et crues de phrases creuses. L'épouvante naîtra d'un arrêt de la machine à tourner en rond, puis de la faim et de la soif... Nous aurons des vierges cannibales.

3.10.2014

FLEURS ...





Des créatures sous le soleil prennent des formes, jouent de l'ombre et de la lumière comme si le jour et la nuit n'existaient plus, se donnent des volumes surprenants, accumulent les courbes et leurs contrepoints, ondulent au vent, s'ouvrent sous le ciel, laissent voir et frémir les parties les plus intimes de leur chair... Leurs apparences fort singulières se doublent de parfums sauvages ou savants qui attirent l'attention bien avant qu'on les respire. Cet exhibitionnisme a quelque chose de sacré quand il joue avec le nombre d'or, on ne sait quelle divine proportion si différente de nos symétries habituelles. On dirait que ces créatures sont à l'apogée de leur existence, que pas une de leurs cellules n'est en trop ou en moins, que le temps s'arrête et que l'espace vibre autour d'elles d'une musique qui les traverse et les copie. On sent qu'il faut s'en approcher, que nous sommes invités à une visite sans fin, que notre curiosité sera merveilleusement récompensée, qu'on nous réserve les meilleures places du spectacle... Nos ancêtres y furent attentifs bien avant de savoir compter et faire des phrases. 
Les néandertaliens aimaient les fleurs et en disposaient sur les morts. Cette complicité de la nature et des hommes est universelle depuis que nous avons le goût des métaphores. On se parfume et on s'habille... De miracle en miracle un singe devint Apollon et sa guenon se tint sur les eaux comme la Vénus de Botticelli. On essaie d'imaginer l'immense succession des regards lancés par l'Australopithèque et finissant sur les tapis rouges de la Haute-Couture... 
On ne peut voir ici que divines interventions et force mythologies, car la Nature nous est aussi étrangère que les galaxies lointaines. Nous sommes encombrés de vieilles lunes car nous désirons dans les fleurs d'autres nous-mêmes, fort satisfaits de nos apparences et persuadés qu'une mère attentive et nourricière veille sur nos plaisirs. Lucrèce et Virgile l'ont chantée à leur manière , Hippocrate la saluait bien bas et Rousseau qui n'y connaissait pas grand chose, versait des larmes rien que d'y penser. La Beauté fut là où se débrouillait la vie avec adresse et imprévus,  construite dans les formes et les contours, saisissable comme une mélodie, passant les murailles et affolant les jours ordinaires. Nous fûmes ainsi consolés de notre brièveté et de notre inachèvement. 
 L'ignorance facilite les consolations. Pygmalion ne perçut pas de limites à son désir. La foi des charbonniers remue des montagnes. La Beauté est donc plus certaine que l'absolue froideur et indifférence des astres. Casanova fit ses classes à Venise, des lords moururent ayant vu Naples et dans la course au chef-d'oeuvre on peignit les femmes en récitant des vers... Les âmes ne se fâchaient pas de hanter les corps et la Beauté frissonnait dans les statues de Praxitèle et Canova... Des hommes pressés de tout savoir, bardés d'optique et de chimie s'approchèrent davantage des fleurs... La Beauté devint moderne à force de jeter les yeux sur les locomotives et de s'extasier sur les performances des canons Krupp... Les fleurs apparurent pour ce qu'elles étaient : des machines à capturer les mouches et féconder les plantes... La Beauté changeait de camp:  les sourires s'adressaient aux premiers imbéciles venus et les mines se refermaient dès que l'ovule avait son compte... La fantaisie sera-t-elle encore de ce monde, car  il n'y a de divine surprise que si l'on ferme les yeux et se trompe d'aventure?
Mais tant qu'à faire de vivre un peu, soyons princes et sauvons les bergères... Les illusions rendent moins fou que l'absolue vérité.




3.08.2014

TRISTESSE, TRISTESSE .......






Ma tristesse n'est pas infernale, elle traîne. Je n'ai aucune raison de me révolter, ne suis pas romantique. Les chagrins de l'Amour ne m'ont jamais crucifié pendant trop de mois. Je suis sous une espèce de lumière qui baigne les choses et les gens que j'aime. Cette lumière venue d'une accumulation imprudente de savoirs trop variés, me montre d'abord le peu de valses qui me restent pendant que tournent sur elles-mêmes les beautés du monde... C'est dans l'ordre des choses, il ne fallait pas naître et grandir.  J'ai préféré les parfums , les couleurs et les bonnes températures à la nuit noire. Je ne regrette rien, même pas d'avoir cru au diable et au bon Dieu, car les mensonges délient la langue et entre menteurs les conversations donnent du relief au temps qui passe. J'aurais été malheureux de me rendre à la mort trop tôt, n'étant pas fait pour les champs de bataille, les courses de moto, encore moins pour de précoces maladies mortelles, bien que j'aie résisté de toutes mes forces et d'extrême justesse à perdre la vie sans antibiotiques... J'avais moins de deux ans, personne ne put choisir à ma place et mon destin paria sur l'avenir en sortant de l'oeuf.
..........Attentif aux subtiles variations des saisons et des institutions, je navigue au près du grand âge en ne jalousant personne, conscient qu'avec ou sans progrès les deux tiers de mes collègues ont passé l'arme à gauche, que j'ai vécu sans guerre mondiale ni choléra, mangeant à ma faim et buvant avec joie. Cela ne peut durer. Une grippe nouvelle viendra faire le ménage, un oriental se paiera une pétoire atomique, un ivrogne me coupera la route, je serai distrait... Ce qui m'attriste,  c'est que s'en ira ce que j'admirais, devenant invisible ou carrément rien, comme certaines odeurs de la campagne, musculatures de mains, allures de corps et tournures de langage... Que les bêtes sans résignation et sans peur iront au carnage, que les chats si savants ronronneront trop fort... Que mes amies si jeunes encore et toujours vives dans mes songes, n'approcheront plus leurs yeux lilas... Que mes enfants perdront des joues et de l'âme... Que les récits de mon père s'aboliront et les sons de sa voix... Que ma femme aura des chagrins cruels... Que personne après moi ne verra sur ses tréteaux, un jour d'hiver dans une église glaciale, le cercueil de ma mère plombé sur sa robe de tergal à fleurs bleues ... Que mes tableaux seront crevés ou en incertaine compagnie, que quelques restes de photos tomberont d'un livre pendant son transfert à la décharge ...
..........Les dieux meurent, les époques finissent à la ramasse et j'ai vu chez le brocanteur une colline de légions d'honneur dans une bassine de cuivre...
..........Que faites-vous contre la tristesse? Que pensait Pétrone, se taillant les veines, penché sur les cheveux dorés d'une esclave nubienne?...

SUJET .....







Ducruet, carnet.

Dix-huit dessins pour douze leçons des ténèbres ou un peu plus. Le sujet devient secondaire... écarté  pour qu'il ne reste que des notes, graves ou aigües, des arrêts de  respiration, des personnages-objets regroupés ou livrés à eux-mêmes, un temps suspendu... Des noms et des paroles illisibles, des scènes comme vues par un enfant de 8 ans et mises en mémoire pour un centenaire, neuves et prêtes à servir pour je ne sais quoi... Mais cependant digérées comme dans un ventre, en chaînes, hermétiques sur un fond de secrets,  comme les histoires qui se racontent dans une tête de peintre... Il faudra qu'il en sorte des constats, des transferts entre la création et la créature, la démonstration qu'en matière d'esprit et d'âme, d'alchimie, nous pouvons nous débarrasser du plomb , que notre légèreté tient dans la métaphore... Ce qui est moins désespérant que si nous étions soudés à  nos articulations, comme les bêtes et les bons élèves...  Douze à quinze toiles carrées, peut-être davantage et d'autres dessins ...

3.07.2014

L'INUTILE ...




Sur un bloc-note se suivent des dessins reliés par quelques éléments communs de mise-en-scène. Ils sont de même dimension, faits en vitesse et en série. Ils servent à laisser "passer" des images pendant qu'un songe avec des chanteuses et des musiques de Couperin se cristallise en famille de sensations, mesure des distances entre les détails, poids visuel des choses, de la volée des ombres contre les lumières, du saute-mouton puis des ricochets des formes les unes sur les autres, d'entassements, de températures, d'éclatements de couleurs, d'effacements et d'apparitions de signes.
D'ou vient ce répertoire indifférent aux conventions scolaires et académiques, vouant les entreprises et leurs pédagogues au sérieux des pisses de chien dans les flaques? Un musicien peut musiquer en tapant sur quelque chose. Des esclaves vendus aux planteurs chrétiens par des marchands juifs et déportés sur des rafiots chargés "d'ébène", tapaient sur des charrues pendues  dans les hangars avec toutes sortes de ferrailles agricoles; ainsi naquirent métissées de cantiques, de gigues écossaises et de chansons poitevines  les musiques américaines, promises à l'invasion de l'Europe et du monde...  Trois pianistes peuvent "casser du bois" en mettant trois pianos en résonnance... Je me rappelle que dans une forêt marocaine j'ai trouvé un violon au manche de  bambou monté sur une boîte de conserve avec trois cordes en fil d'acier...  Ce droit que les musiciens prennent, de faire du son avec ce qu'ils veulent, n'est pas si répandu en peinture... On s'imagine que le dessin s'apprend comme la mécanique et que les formes des musées sont des réalités en double... Mais rien n'est plus emprunté que les formes : les dessins d'enfants de 1930 ne ressemblent à rien de 1910...  Les travaux de jeunes, les boulots de trentenaires et un peu plus... pèsent le poids de l'époque et de l'esprit grégaire, le surpoids des professeurs, le chargement des camions idéologiques et des bétaillères économiques... "Savoir se vendre"... Or quand nous plongeons dans le social correct, les âmes se meurent et tout ce qui paraissait utile devient absurde, on sourit à la mort de toutes ses dents... C'est que le monde n'est pas aussi clair que la Pub, que la civilisation ressemble à des vols de canards dans la brume... 
Nos fêtes culturelles ont le sérieux des élections de Miss Baisy...  Mais Bernard Palissy brûla ses charpentes et ses parquets pour cuire sa faïence avec le dernier plancher... Tel est le plaisir des hommes et l'effroi des banques.



2.25.2014

DE BRONZE ...





Lorsque s'arrêtent les saisons, lorsqu'on n'est plus gelé, rincé, bronzé, venté, c'est qu'on gît sans lumière dans une dernière demeure, poussière débarrassée des meubles ... Il n'est plus question de désirs et de fleurs. Les moisissures mettent en loques les cache-misères. Par-ci par-là des traces d'anatomie, quelques ongles trop longs, une touffe roussie de cheveux ternes, le chicot qui crève un linceul et en guise d'activité le passage d'insectes pressés. La peur du noir est parfois si terrible qu'à de fausses fenêtres se montrent des fantômes de bronze, bleuis par la pluie , coiffés et habillés pour la noce... Ces désespérés mendient en quelque sorte l'occase de prendre l'air, victimes de leur amour-propre et d'un charlatan d'artiste qui échangea leur or contre dix mètres carrés de gloire... A moins qu'une épouse délivrée ne se fût délivrée davantage, s'étant payée la mine du seigneur et maître au pilori de son monument, noué dans sa cravate, privé de ses mains et du reste, admiré par des lapins.

SI PRES....

M.Ducruet, micro-Rembrandt. 2014.

Vous arrive-t-il encore de photographier en noir ? De résumer votre affaire en ramenant les choses à une calligraphie heureuse. Comment dire aux ignorants du livre et du papier que l'encre pèse un certain poids de lumière et que le rose jambon des videos coquines manque absolument d'ombres, voué à l'obscénité, comme le sont les verts épinard des photos de voyage, les rouges de corridas et les jaunes Maserati. Les stars des tapis rouges, aux bustes gonflés de silicones et arrondis comme des jaunes d'oeufs ont les couleurs relookées du politiquement correct, les genoux osseux sous le flash et le sourire blanc comme les neiges de l'Olympe et de Colombie. Les tronches pastellisées des présentateurs d'indigestes divertissements, le rayonnement vert ou bleu des yaourts bio et le rayon caramel des céréales qui facilitent le transit... Tels sont les bandeaux de nos arc-en-ciels de civilisés, de champions du monde  ou des militants du sexe à discrétion... Couleurs droguées pour drogués de la couleur, la Peinture devenant difficile dans les musées, cause des migraines aux néo-allergiques des gris et aux écraseurs de plate-bandes. Or la grâce est vision de passages innombrables entre les pôles et l'équateur, respiratoires entre les silences et les vacarmes. Il n'y a donc pas d'image de la Vérité, ni en noir, ni en rose, car il n'y a aucun pourquoi au jeu de la vie et de la mort...
 
A Redon, 10 000 habitants, les gendarmes ont interpellé 242 drogués l'année dernière...


2.21.2014

EN PAGAILLE ...








Nous avons inventé toutes sortes de crimes. 
Plus nous sommes civilisés, plus ils sont énormes... Nous battons la semelle aux quatre coins du monde pour en surveiller toutes les issues et veiller à la disparition des différences... Nous avons chassé nos ancêtres et les bêtes de notre voisinage, nous nous sommes refilé un Dieu unique, caricature de nous mêmes... Nous délirons sur notre puissance et la sienne, nous partons à la conquête interminable de l'univers, nous sommes le cauchemar et la stupeur du monde vivant. Il n'y a pas de limites à notre folie administrative, à nos appétits frénétiques, à nos besoins de besoins... Pour agenouiller la Terre nous avons inventé l'Homme avec un grand H, nous l'avons affublé de droits et trempé dans l'eau bénite et l'arithmétique pour le rendre universel... Nous l'avons déclaré supérieur, propriétaire des eaux et des forêts... Propriétaire de toutes matières et créatures, intermédiaire sacré entre la vie et la mort... Notre absence de modestie nous déshonore. Nous n'avons jamais arrêté de voler la Vie . Nous avons massacré, pillé, flambé ... Comme ne suffisait pas la gloire d'Alexandre dans l'imaginaire des morpions, les cow-boys et les tuniques bleues se taillèrent des croupières dans les chairs indiennes, jetèrent les peaux rouges et leurs bisons en enfer là où les conquistadores n'avaient pas encore donné de l'épée et de la rougeole... Nos amis anglais bourrèrent la Chine d'opium, se tapaient les cotons des Indes pendant que nous partagions avec eux les peuples d'Afrique... Nous avons eu le culot de nous dire serviteurs de Dieu comme l'avaient fait les spécialistes des mots de travers dans la Genèse et ailleurs,  de l'honorer pour avoir de bonnes raisons de rendre l'univers unique, monotone, soumis et commercialisable. Dans l'affaire l'Islam et la Chrétienté rivalisèrent d'ardeurs et de chirurgies afin qu'un bruit de cloches ou un appel de muezzin bouchent toutes les oreilles . On s'indigne de l'extraordinaire ravage de la shoah, dernier des génocides en date avant le Rwanda... On a déjà oublié la liquidation stalinienne de 10 millions de paysans russes, la "déportation" dans les "services" et le chômage de deux millions de paysans français... On croule sous les métaux lourds, les alzheimers, les asthmes, diabètes et allergies... La grande défonce de l'Occident a commencé sur lui même... Jamais cinglé n'a parlé plus clair que Georges Bush protecteur de l'Axe du Bien... Tout ce qui palpite dans les mers et vit sur terre n'a qu'à bien se tenir... A nous la bonne soupe, le blé d'Ukraine, les terres des autres ... A force de courtes vues frénétiques et d'appétits incontrôlés nous sommes anthropophages, empoisonneurs et semeurs de merde à l'échelle du système solaire... 
Il y a pire que le massacre des corps...On suce les moelles, on s'empare des cervelles, on y glisse les mêmes stupéfiants... On gonfle les ego de "culture" moyenne , on leur greffe le stock légal d'émotions, de désirs et de trous noirs... La pédagogie obsessionnelle des petites culottes, des stars jetables, des bouffes à chier, des "consoles" pour orphelins de la politique... En un mot , on "sociabilise" à tour de bras. 
Tel est le sale boulot de la "globish harmony", le décapsulage à outrance de l'ancien monde... Puisque le pire n'est pas arrivé, il faut qu'il vienne...
Pour que les rescapés du Bonheur mimétique passent à l'envie d'être singuliers, trouvent des confidents du côté des bêtes et des feuillages, se plaisent au courage d'apprendre et de contempler, il faudra des meurtres en pagaille.

2.19.2014

ILE DESERTE ? ...





Les danses macabres remplissent des salles obscures, crèvent les écrans plats... Nous sommes rissolés en vers et en prose. Les artistes contemporains dansent aussi à Venise sur le Grand Canal , à Bilbao, New-York etc... Où des jeans coupés en Tunisie, teintés en Allemagne, relookés aux Indes et distribués sur les grandes avenues du Monde, se frottent aux carnations de milliardaires amoureux de l'Art... Pinaud, Getty, Gates, Chose et Machin dépensent sans compter pour des exhibitions sur le très grand marché, installent tout ce qu'il peuvent de matière sociale, d'électronique futée, d'oiseaux rares sortis des hydrocarbures ... sous des lambris illustres, au sein de corridors et de cavernes pédagogiques. L'Occident s'y montre, s'y dépense, s'étale, renseigne sur ses petits ou grands râles. Ses maîtres s'y font pardonner trop de calculs et se ruinent en leçons particulières pour que les australopithèques des provinces les plus reculées s'émeuvent du vertige des enchères et des intestins de la sociologie.
Adieu naïfs! Qui pensiez que le créateur avait fait les choses et que lui tendre le doigt comme l'Adam de la Sixtine était le comble de l'Art. L'Homme n'est plus ni beau ni singulier, il est pluriel et massif, cruel et puissant, inventeur de machines à idées, de chapelets en binaire et de moulins à paroles. Car sa charité consiste à faire payer aux moutons le spectacle des abattoirs ... Telles sont les arènes contemporaines, les vagins à produits dérivés, tee-shirts, cendriers, tasses à café, parapluies, producteurs d'étranges amulettes, non dénuées d'humour et de savoirs-faire, contemporaines de l'Anthropocène... Il n'y a rien à voir que la magie des échanges, les hyper-logos de la cervelle en quête de grand commerce et consumée d'amour pour ses étals, breloques de désir et crécelles des lépreux... 
L'épousaille du pouvoir et de l'art n'est pas neuve... Combien de rétables et de martyres ne furent qu'armes secrètes de leurs vaniteux commanditaires ! Evêques parfumés adonnés au vino santo, aux biscuits à la cannelle et aux petits mignons... Princes terrifiant les inquiets et claquant des doigts pour clouer les becs, usuriers passés à la banque et redoreurs de blasons... Mais l'Enfer n'était pas encore de ce monde . Les puissants vaille que vaille gardaient leur troupeau du côté de Saint-Pierre. Personne n'avait osé faire descendre le Paradis sur Terre et la vie restait un chemin tortillard, sablonneux, malaisé.... où le cheval tirait son coche et supportait les mouches....
Les artistes contemporains sont, eux, des demandeurs d'emploi comme les autres. Pas un seul ne rêve de gloire posthume, ne craint les vols de vampires ou les sabbats de sorcières. Fra Angelico et Goya furent en comparaison des cinglés schizophrènes.... Car les prouesses les mieux payées du deuxième siècle après Rousseau, sont des coups de pied dans les ballons, des postillons dans les micros et des inventions de machines à relier les petits ruisseaux pour faire de grandes rivières. Les scènes sont immenses, les associés innombrables, la renommée coûte le prix des médias et le va et vient de l'argent public aux poches privées n'est pas une mince affaire... Les maîtres collectionneurs et ordonnateurs de fulgurances supportent en riant les intraveineuses, fumeries, cuites et divagations sous le slip de leurs poulains... C'est que la crasse des addictions et des mauvaises santés donne le sentiment de la démocratie et de l'égalité des chances... L'horloge culturelle est  insensible aux petits malins qui tripotent ses aiguilles. L'Art des injections de culture repose sur la minutie, comme en son temps celui des clystères . Il faut  naître, paraître et mourir dans des règles collectives de bienséance, dernier avatar d'une "Nature" débarrassée des satyres, nymphes, bacchantes, orgies et processions... Repeuplée d'objets pneumatiques, de fleurs pétrolières, de savants déchets et de bonnes chimies...
Ce monde n'échappera peut-être plus des mains qui le tiennent, des têtes qui le pensent, des routes qui l'entaillent, des laboratoires qui l'enfument et le parfument, des chirurgiens qui le dérident, des banquiers qui l'accommodent  et des justes qui le vendent. Les désirs y sont plus forts que les rêves. 
Au bazar il faut des objets nouveaux, des sciences amusantes, des miracles pour tous, des preuves irréfutables des victoires du Bien et du Bon, des vérités portatives, des années d'oubli pour des vies en taule. Car doivent être supportables les bétons armés de la Raison, les animaux empaillés dans les parcs, les vaccins contre l'air frais, les détournements d'enfance et les contrats d'assurances tous risques. Quel arbre, quelle porteuse de crevette ou repasseuse, quelle asperge ou tournesol ne peuvent être empaquetés comme le Pont-Neuf ou le Reichstag , impuissants sous la ficelle comme la Terre ficelée par les réseaux et bientôt couronnée d'épines puis  moquée par le Soleil ? ....



Filez à l'anglaise. Laissez tomber l'amour. Il n'y a plus de sentiments qu'aux chiottes. Dites que la pièce est vide, que les murs sont gris, faites quelque chose entre violet et jaune... Comme Robinson, sortez d'une épave des outils et des armes...  Il se trouva une grotte, tailla des planches, fit un parasol, un enclos et s'organisa pour les jours et les nuits. Recommencez l'art pour le plaisir, suivi de votre ombre sur une île déserte aux plages lisses... 


1.19.2014

HIVER ...










L'abondance des graisses et l'envie de dormir durent tant que le pétrole coule dans les chaumières.
Les rustres s'étant jetés sur tous les os de la création, ayant léché toutes les vitrines et saisi toutes les occasions d'enfler se trouveront dépourvus quand la bise sera venue... n'ayant d'autre famille que des écrans de fumée, d'autres distractions que les pirouettes des avions, les chansons et les culs tournant en boucle, d'autre mémoire qu'en tutu, d'autre avenir qu'en sueur et huile de coude pour faire pousser des radis. 
Comme dirait le facteur: "Ce qu'il faut , c'est une bonne révolution à l'ancienne..." cet imbécile n'ayant pas vu grand chose car ignorant que les poupées gonflables ne voient jamais le loup et que si l'on reprend la Bastille, ce sera sur un plateau de tournage. Couper des têtes? Distribuer quelques pois-chiches?... Il faudrait surtout du nouveau, un peu de cannibalisme, quelques bouc-émissaires de qualité, quelques têtes rasée, des institutrices déchaînées défilant chez Dior, des descendants d'esclaves et de maîtres lâchés affamés dans l'arène sanglante, des couches-culottes tricolores à l'Académie et mille mesures vexatoires pour finir la boucle, baisser indéfiniment les yeux et péter sous le manteau...

AUTOMNE ...







Il y eut tant de roues, de pompes, de fumées, d'avions, d'engrais, de canons et de gens instruits qu'on prit d'autres habitudes... pour que digèrent les pauvres et se gavent les riches on élargit les villes aux quatre coins, les routes furent innombrables, les paniers montés sur roulettes et l'argent sortit des poches à la vitesse de la lumière... Jamais on ne vit des pauvres si gros... Les écoles regorgeaient d'élèves et les maîtres enseignaient le sourire... Les vaches suivaient à peine la demande de viande hachée et les betteraves la consommation de sucre... Il y avait tant de musique dans les ascenseurs, de pilules dans les pharmacies et de drogues dans les boîtes, que les dieux semblaient vivre au milieu des hommes... Les centenaires furent nombreux et coriaces, les milliardaires furent congelés en prévision des progrès à venir, des âmes sensibles jetèrent les cendres de leur belle-mère au milieu des astéroïdes, on clona son chien avec ses puces et après de justes noces des mulets et des mules adoptèrent des zèbres... Les hommes ne s'étaient jamais distribué tant de caresses.

ETE ...







Tant qu'ils eurent sous la main plus de bois que de fer, les hommes craignirent les diables. Ils se dirent qu'ils avaient l'enfer sous les pieds et le ciel au-dessus de leur tête. Ils surveillèrent de près les étoiles et les heures à cause des inégalités du jour et de la nuit. Les chamans se méfiaient des crétins ordinaires, prenaient des herbes, des champignons et des breuvages amers pour sauter l'obstacle de la pesanteur et flotter de concert avec les esprits. Ils parlaient avec les bêtes la langue de tous les savoirs. Les dizaines de siècles ne les effrayaient pas et leurs précautions nous ont laissés aussi frais et juvéniles que des ruisseaux de montagne. Mais les étés ne durent qu'un temps et tous les sorciers ne sont pas sages. Ce que donnait la Nature était souvent repris : les femmes perdaient leurs charmes en quelques lunes, les costauds tombaient, les enfants perdaient leurs voix d'anges, les automnes éloignaient le Soleil et les articulations finissaient par être douloureuses. La recherche du Bonheur prit des allures de Raison et de chiffres, sous la forme d'une vis d'Archimède ou d'une machine à vapeur.

PRINTEMPS ...






Dès qu'ils furent chassés du Paradis les hommes prirent le large avec des titres de propriété sous le bras. Ils se racontaient des bobards d'enfer du genre " Dieu a dit que tout est à nous ", " Dieu a dit de féconder nos femmes et de nous multiplier comme des lapins " etc... Ces dévergondés de la Nature juraient qu'ils n'avaient rien de commun avec les animaux, qu'on leur avait promis la vie éternelle et d'autres sornettes, que les bêtes étaient stupides car incapables de chanter les louanges du Seigneur ou la grandeur d'Allah... Une fois qu'ils furent persuadés d'être le sel de la Terre, ces singes nus taillèrent des pierres et plantèrent des fleurs pour dire aux générations qu'ils étaient le centre du monde et que la beauté des humains crevait le plafond de tous les spectacles... Ils se déguisèrent en dieux et en déesses, remplirent les sources de nymphes, les océans de sirènes, les jardins de statues... Tout César eut son portrait, tout petit saint son effigie, d'innombrables allégories vinrent au secours des saisons dans les parcs où l'on s'embarquait pour Cythère...

QUATRE SAISONS SUFFISENT ...






Octave Auguste empereur de Rome demandait en mourant s'il avait bien joué la comédie de la vie. Vespasien confiait avec le sourire qu'il se sentait devenir Dieu... Les illusions serviraient-elles à voir clair ?

Les philosophes disent que nous partirons comme des mouches, que les empires sont faits pour les ânes, que la beauté nous trompe et que la douleur nous renseigne... Les prêtres, les imams, les rabbins, tous les marchands de purées célestes promettent la Lune aux pauvres diables. Donc si les chemins ne tournent pas en rond c'est qu'ils ne conduisent nulle part. Sceptiques, soyons heureux de rire. Car il n'est jamais ridicule de se moquer des hommes. C'est même tout ce que méritent les enfants de Dieu, leurs tragédies lamentables et leurs appétits féroces... Un Déluge de plus ne changerait rien. Ils ont les larmes faciles, mais ils sont lourds, boueux, et leurs crimes paient. Tout cela n'est pas original, le dire n'a jamais servi à grand chose.
Nos vies consistent pour un tiers à fermer les yeux dans un lit . Pour un quart, nous sommes à table et à la cuisine. Pour un huitième nous déféquons et transmettons nos gênes. Pour ce qui reste nous travaillons à remplir des assiettes, des réservoirs d'essence et quelques jours de congés... Un petit nombre d'illuminés mêlent à ces prouesses des accessoires et des commodités telles que les oeuvres d'art, poésies, pensées et découvertes... Comme fit Newton observant la chute des pommes, Oppenheimer faisant la bombe et Freud prêtant l'oreille aux arrière pensées...

Contre l'ennui les vérités sont inutiles. Nous avons besoin d'histoires et de mensonges pour ne pas avoir les pieds plats. Il suffit de construire des pyramides dans le désert, de couper la mer en deux, de ressusciter en prévenant ses amis, d'inventer un dieu de la Guerre , une déesse de l'Amour, de s'arranger pour qu'ils soient au calendrier... Un jour quelques fêlés très malins ont échangé de gros sous contre une esclave gironde, d'autres cervelles de génie se sont aperçues qu'à la vue de l'or les hommes et les femmes avaient des frémissements du dos et des tremblements du menton... que suffisaient quelques lieux de pénitence et de lamentations pour les désespérés ou les crocodiles et que dans les rues, sur les places et dans les campagnes des distributions régulières de pièces d'argent rendaient la vie supportable et les humains plus intelligents. Ainsi vinrent au monde l'Avarice et l'Orgueil qui firent de quelques primates des milliards d'êtres pensants qui naissent bons et que la société corrompt. 

L'Avenir nous dira si la vie a un sens... D'ici là nous aurons perdu la boule depuis longtemps. Les historiens ne rendent pas les hommes faciles à comprendre et les livres deviennent illisibles au grand nombre. Comment faire pour échapper aux marchands de Bonheur, aux savants fous, aux stars de la certitude, aux crétins aimés des dieux et à tous les pesteux qui nous veulent du Bien ? Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage, soyons dans les évènements comme des bêtes sous les ombrages, un peu différents des hommes et près des origines, inscrits dans nos chairs et nos saisons .
Les âmes se montrent comme les rides et les automnes finissent par dire tout bas qu'il est idiot de vivre deux fois pour en savoir davantage, que les fleurs de l'été suffisent aux regrets éternels...

SI LOIN !...






Grimper de 1000 km pour se rapprocher des étoiles, remonter le temps de quinze milliards d'années, construire des machines grosses comme des villes autour d'une poussière, passer entre les grains de lumière pour en savoir davantage... La Nature ne freine ni les curieux ni les envahisseurs. Elle se pousse un peu plus loin chaque fois, use les explorateurs et gonfle les budgets. Nous sommes revenus de la Lune avec une remorque de cailloux. Nous rêvons de creuser des puits sur Mars pour planter des choux, se donner un drôle d'air et célébrer quelques anniversaires. Nous avons lancé des capsules entre les anneaux de Saturne, observé des tempêtes sur Jupiter, lorgné des océans de méthane ou des sphères de glace... Nous ne savons pas encore marcher la tête en bas, mais les auteurs de science-fiction nous disent que nous aurons la Terre au-dessus de nos lits et que nous regarderons tranquillement voler les mouches avec des lunettes numériques. Dix milliards de voyageurs entre le Soleil et le reste du monde, seront outillés pour vivre deux siècles sans névroses ni dépressions... Il se pourrait que les meilleurs aient des ailes dans le dos et que les méchants ne vivent que cent ans.
 
Vous l'avez compris, il n'est pas séduisant d'avoir les pieds sur Terre si tôt dans le siècle. Les jours se traînent encore comme les chars à boeufs des rois fainéants, les murailles des villes puent le gazole et les hommes avertis se cachent dans les herbages et derrière les haies. 

Si vous ouvrez quelque fenêtre il se pourrait que vous tombiez sur une bibliothèque, là où jadis pendaient des jambons... les livres s'échappent des mains de la jeunesse, les scribes fuient comme fuirent les poètes de la Ville éternelle, lassés du Cirque, fatigués des barbares et des chrétiens... Attendre la fin du monde près d'un ruisseau à truites, s'amuser des lapins et des merles de l'aurore, des grues cendrées de l'après-midi... Dans un coin vous trouveriez aussi des ordinateurs pour voir plus loin que le bout de son nez, mesurer la température du globe et surveiller la montée de ses eaux. Vous prendriez un siège près des salades, songeur devant les romaines, vous pencheriez du côté de Pascal Quignard, en vous disant qu'il se fait plus de musique près des carpes et dans les branches que n'en peuvent les antichambres des rois et les zéniths de la démocratie.  Vous ragez en somme d'avoir trop d'espérance de vie dans un monde si peu varié ... Car lorsqu'il fallait plumer une oie pour écrire, prendre l'encre d'une seiche, sabler sa feuille avant de la plier, les hommes et les femmes faisaient des miracles et des feux d'artifices avec des cervelles défuntes à trente huit ans de moyenne... Il vous arrive de penser que les merveilles du monde ne sont plus à nos portées, vous essayez de voir le ciel sans traînées d'avions ni fils électriques. Il y avait des lions dans l'Atlas et des éléphants sur les bords de l'Euphrate. On vit dans les forêts de Teutoburg blanchir les os des légionnaires de Varus. Les derniers aurochs moururent en Hongrie vers l'an mil. Au Vinland une poignée de danois planta une pierre gravée. Les archers du Premier Empereur montent la garde depuis vingt siècles au bord d'un fleuve de mercure où pêchent des oiseaux de bronze et jouent des musiciens de terre cuite... vos racines vous disent qu'il y eut plus d'enfers et de paradis quand les hommes étaient loin les uns des autres et la Terre immense... 
Que nous serons dix milliards à parler d'amour et d'égalité dans un pot de chambre, dérangés par les cafards et saoulés de sentiments par des amnésiques... Puis avides de vacances entre la Lune et Mars.

1.13.2014

VOEUX REJOUES ....





Sans rire, la vie est une partie spéciale qui dure plus ou moins longtemps, où l'on choisit d'être blanc ou noir, où les matches nuls sont aussi impossibles que les revanches et où les joueurs savent dès l'enfance s'ils ont le goût du jeu. Mais il arrive que, manoeuvrant des pièces, la Mort est irrégulière, donne l'impression de cafouiller, qu'on a l'impression de gagner du temps et de prendre l'avantage, qu'en tentant le diable on lui rafle sa Reine et lui vise le Roi. Le plaisir qui consiste à jouer contre la Mort vient de ce qu'elle semble étourdie de ce qu'on lui a fait et résignée à prendre des coups. Voilà pourquoi les années se terminent, qu'ont lieu les banquets de la Saint-Sylvestre, que les rescapés s'embrassent au gui l'an neuf, se distribuant des voeux. C'est évidemment se jeter de la poudre aux yeux, mais comment prolonger la partie?
Si c'était possible, je croiserais les doigts pour que nous ne manquions ni de chefs-d'oeuvres ni de personnes remarquables. J'inventerais une machine à grains de sable pour que déraillent les trains de l'inexistence. J'aimerais qu'on ne trouve plus d'explications à quoi que ce soit. Mais pour que naisse la gloire il faut du sang et des larmes, que les fenêtres et les caves soient éventrées, que vivent aussi les indésirables et qu'il n'y ait d'autres issues que de s'évader par les toits. 
On dirait qu'en France il y a dans l'air suffisamment de grains de sables et de vent pour qu'on y réinvente de quoi rire et pleurer sur toute la Terre... Ce qui est intéressant c'est que nous sommes pires que les autres quand nous sommes mauvais et que nous sommes meilleurs quand nous sommes bons.
Pourquoi désespérer du pays de Houellebecq ?...