Dans les rues étroites des villes, quand les égouts n'existaient pas et que les épidémies frappaient, il fallait se protéger des mauvaises surprises. Les saints du Paradis faisaient l'affaire sur les façades. Taillés dans le chêne et placés par les propriétaires, ils surveillaient le train-train des affaires et le jeu des enfants. Beaucoup n'ont pas résisté aux intempéries, d'autres furent arrachés par des républicains qui rêvèrent un temps de Raison et de cornes d'abondance. La plupart furent embarqués par des antiquaires noctambules qui les ont revendus à des minorités sexuelles, à des cinéastes ou des commissaires aux comptes... certains passèrent l'atlantique pour grimper des étages et jeter un coup d'oeil sur Central-Park... Ainsi finirent des neiges d'antan... à Neuilly ou très loin à l'ouest.
Dans les églises, antichambres du Paradis, les pauvres bougres, écrasés du fardeau de leurs péchés, les yeux illuminés par les cierges, pouvaient aussi relever la tête, s'adresser au ciel, admis dans la maison de dieu. Pour qu'ils ne soient pas déçus, les meilleurs architectes et les plus grands artistes mêlaient aux vapeurs d'encens et de cire les formes les plus achevées du savoir-faire. Des portiques de marbre plus ornés que des palais antiques, creusés de niches et d'encorbellements , furent lieux d'apparition des saints et des anges, surpris en pleine effervescence. Ces tourments de pierre sous les voûtes miraculeuses des grands édifices prouvaient aux âmes que les prières et la grâce vont main dans la main, qu'il n'y a pas loin du plancher des vaches aux extases du ciel... Que les cailloux des lapidations sont du même grain que les cuisses de séraphins. Les riches, qui ont toujours tant à se faire pardonner, pouvaient jeter un oeil complice sur les meubles à tiroirs et les autels qu'ils offraient aux chanoines... se faire bénir par des mains ornées d'améthyste, chanter avec les orgues, se mêler à la populace dont les chicots et les fringues passaient inaperçues sous le prisme des vitraux...
Cette époque est révolue... Le Paradis n'est plus au Ciel... Il est sur le trottoir. Il prend des allures de Caisse d'épargne pour les plus sages et les gagne-petits. Les autres s'y promènent de jour et de nuit. Les anges ont abandonné leurs ailes ridicules, ils essayent d'avoir un sexe. Ils se plaisent dans la chaude ambiance des vitrines, débarrassée des sueurs, des guerres, des angoisses et des épidémies... Les passants peuvent s'arrêter où brillent les lumières, contempler des corps rescuscités, sans graisses ni courbes gênantes ni rides dégoûtantes, caresser des yeux les objets de convoitise, voir comment sont tenues des promesses infiniment recommencées... Il ne leur reste qu'à pousser les portes avec leurs cartes de crédit, ce qu'autrefois dans les églises on appelait des indulgences.
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