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9.11.2013

CHEFS-D'OEUVRES ...








Le marché a de bons serviteurs. Ils tuent les cauchemars, les remplacent par une saine intelligence du Bien, stimulent les co-locataires du Progrès par des affirmations heureuses, un enthousiasme sans relâche, une profusion de témoignages sur les lieux et les choses de la réalité... Il faut que chacun voie son extase.

Les peintres de jadis se contentaient des apparences du monde pour en costumer les puissants, étant entendu que ceux-là tremblaient comme les autres de la fragilité des chairs ... Furent ainsi posés dans les tableaux des velours, des ors, des cuirasses, perles, soies et ornements qui désignaient les enfants chéris de la Providence . Il n'y avait en somme de visibles que des illusions et des chimères, des battements d'ailes dans une vallée de larmes . Toute beauté avait à se faire pardonner, tout orgueil à se faire oublier... Une espèce de gratitude générale était le propre de l'art, car le monde n'était pas celui des hommes mais celui du Créateur... Lui rendre hommage était suffisant. Parfois un regard de peintre croisait un homme ou une femme comme jadis croisait Diogène dans les rues d'Athènes.
Un jour d'après la Peste Noire, quand il fut compris que les rats distribuent la mort sans jugements, les hommes furent plus attentifs aux miroirs. Ils s'outillèrent de compas et de nombres, comptèrent leurs pas dans les antichambres et sur les voies du commerce... Avec moins de prières et plus de raisons, des cartes précises, des observations plus nombreuses, des livres plus savants et peu à peu des cervelles plus philosophes, ils s'occupèrent des chairs plutôt que du Destin. Enfin seuls avec le  monde, ils apprirent à en faire le tour, à le quadriller sur les globes, à creuser les montagnes.. Ils  chargèrent de pauvres diables sur des navires pour les vendre contre du sucre, du tabac et de l'or. La balance des changeurs prit la place de celle du Jugement dernier. Plus il y eut d'écus plus il y eut d'artistes et plus il y eut de modèles... La commodité des échanges couronne les individus. Elle anoblit leurs digestions et leurs pets, multiplie désirs et richesses pour que chacun voie l'horizon au bout de son nez, se pousse sur sa pente, progresse vers sa royauté en tremblant du menton... Le monde se peuple d'occasions, de bonnes fortunes et d'histoires folles. La société vire au chef-d'oeuvre, s'explique jour et nuit à elle-même, se retourne pour examiner ses excréments, analyser ses urines , faire ses bilans, ses échographies, ses scanners, ses radios, ses repérages de marqueurs spécifiques... Elle y consacre les trois quarts de la journée pour qu'enfin, à l'heure du "prime-time", commence le grand déballage des résultats et soit donnée l'autorisation de dormir.
Mais il faut surtout que personne ne fasse de mauvais rêves, que la nuit soit reposante car le lendemain, les citoyens doivent oublier la veille.

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