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9.26.2013

DU PAYSAGE ....








Les roseaux pensants vont dans la même direction...

Au bord du trou s'interposent les monuments, panthéons, livres révélés, oeuvres d'art, jardins, labyrinthes, bistros, bordels, ipads, vitrines... sont distribués les guides... Les touristes, les bons fils, les oies blanches, les grenouilles grosses comme des boeufs, l'armée des natifs de bonne volonté viennent voir ce qui se passe. Les prophètes et les vendeurs distribuent des lointains à ces voyageurs. Ils voient sur des prospectus qu'au-dessus de leurs têtes passent les signes du zodiaque. Un peu plus haut les anges et les saints chargent leurs semaines de musiques et d'actions de grâce, plus haut s'ouvrent les paradis où banquets, coïts interminables, petits garçons et vierges en pagnes légers offrent les plus étonnants transports aux âmes des justes ... Plus haut.... Plus haut.... les mots et les images ne servent à rien. En bas, sous les semelles de pélerins, grouillent les démons fort semblables aux pirates sarrasins, bouilleurs d'huiles effrayantes, cuiseurs de chairs, piqueurs de reins, suceurs de sang, arracheurs de morceaux, mâcheurs de cervelles... Telles sont les bornes des croyances, les maisons du Bien et du Mal... Telles sont les écuries des créatures du Tout Puissant, abreuvées de phrases, égorgées halal ou munies des sacrements... Leur vie ne mâche pas les mots des textes sacrés, ils avalent les postillons des prêcheurs et les éclairs des sabres de la "Vérité", les mains jointes sur un prie-dieu, le cul en l'air au-dessus d'un tapis ou la tête remuante contre un mur de lamentations...

L'Orient interdit les images. Ses paradis et ses enfers restent dans les crânes, sautent par coeur de génération en génération comme les puces de chat en chat. Il suffit d'un mot de travers pour les remuer, secouer des craintes comme la neige des boules de verre, de quelques phrases pour déchaîner des anges et des diables, faire d'un privé de dessert un porteur de nitroglycérine ou de cyanure, un éboueur de péchés, l'index d'un céleste vengeur ou l'épée d'un prophète en colère... A force de tempêtes , de soufre, de bruits, d'eaux lustrales, de prières, les fusées de la Foi remplissent les têtes soumises et poussent dans les reins sur les pentes des vallées de larmes...

 


L'Occident à la grecque, porté sur les athlètes, les gladiateurs et les philosophes, rassemble des foules autour des moissons et des vendanges, cadastre sa nature, échelonne ses ambitions, glisse en toutes formes une géométrie, une pesanteur... Ses barbares laissaient vivre leurs femmes, les menaient armées à la guerre... Rome avait son mur d'Hadrien, ses forts du Rhin et du Danube...Il fallait aux légions des itinéraires, des provisions, des prostituées et des marchands syriens... Ceux d'en face bavaient sur les aqueducs et les fontaines des villes, les terres à blé des frontières, le quadrillage des voies, les bornes miliaires, les casernes chauffées l'hiver... A l'Ouest les crânes s'ouvrent sur des extérieurs déversés dans les mosaïques, les fresques, les bassins à portiques où se mirent les Narcisses et les Antinoüs et où se penchent les sourires, les bouches ornées, les courbures... Dans les forêts, des satyres montés comme des ânes suivent des cortèges d'ivrognes à demi dieux...

Giorgione s'intéressait aux nuages , aux cuisses, aux porteurs de hallebardes et fermait son horizon de nuages bas et d'éclairs... Car entre le ciel et l'enfer se déclinent les aventures de l'homme. Chacun sait que l'au-delà est fort court après la dernière aspiration d'un certain mélange d'oxygène et d'azote, et que les plus profondes respirations servent aux conséquents à voir le bout du monde , juste derrière la ligne d'horizon.... Tout paysage est un arc du cercle planétaire, une frontière de soi-même et une proposition d'aller voir ailleurs ce que font les grand-mères... On ne s'y déplace pas qu'avec les pieds, on y prend la mesure des temps et des températures de la vie, on y sonde les puits de la naissance et de la mort, on y regarde passer les saisons qui jamais ne nous appartiennent, on y épouse les joyeusetés de la lumière...
La Nature est une vieille idée de philosophes, elle n'a jamais existé que dans leurs têtes...Et sur le tard dans leurs culottes... Ils disent qu'elle est bonne fille et mère généreuse...Ils disent que le bleu de l'air, le vert des forêts le blanc des nuages et l'or des blés sont les cadeaux de la Providence et que des signes savants y bornent les chemins du Bonheur...Mais serait-elle si différente s'il n'y avait d'yeux que ceux des loups et des agneaux pour contempler les rosées du matin? Quels esprits se sont attribués de l'âme ? Avaient-ils peur des ombres et des vents au point que leurs barbes dans les flaques eurent un air d'immortalité? Nos traces dans la poussière, les brumes de nos paroles au lever du jour, nos excréments plus fréquents que nos amours et nos amitiés, nos cueillettes de champignons et nos rires mériteraient-ils un sort plus enviable que les cabrioles de libellules ?... Il suffit de vingt ans pour faire d'un palais un pigeonnier en ruines, d'une route un petit bois, d'une ville un repaire de cafards et d'une prairie la roncière où jouent des hérissons... Quand sera tournée la page de l'Homo sapiens, les océans se rempliront de chair fraîche, les chiens redeviendront des loups, les sangliers feront du lard sur les gravats des banques, des minarets et des clochers...


 

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