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10.15.2013

BONHEUR GENERAL ...



Les amis de l'homme savent qu'il aime la vérité. Il naît bon. Comme il est fragile et que la société le pervertit, la Providence lui donne des coups de pouce du côté de l'imagination pour qu'il se sente bien dans sa peau. Des génies apparaissent, le rappellent à l'ordre et lui montrent le droit chemin. La vie regorge de complications inutiles et d'évènements obscurs où les esprits et les âmes risquent de se perdre. Il est nécessaire d'installer les braves gens sur des routes qui mènent quelque part. Le but du voyage c'est le Bonheur. Cette formidable entreprise commence à peine. Les progrès de l'instruction, la multiplication des savoirs, la concentration des foules sur des espaces restreints, la vitesse des communications, la profusion des loisirs et des marchandises laissent penser que nous sommes à deux doigts de la réussite...


  
Les hommes de jadis crevaient comme des mouches, ils avaient peu d'années à perdre, c'était presque toujours perdu d'avance... Les femmes accouchaient dix fois pour que deux nourrissons deviennent adultes. Le monde qu'ils apprenaient tenait dans un mouchoir de poche mais en levant les yeux au ciel ou en regardant où ils mettaient les pieds, ils étaient fort conscients de l'immensité des problèmes et à défaut de bonheur ils s'efforçaient de vivre, plaçaient leurs espérances du côté des nuages et leurs angoisses au troisième dessous de la terre. Ils inventaient des machines pour aller au ciel et des astuces pour éviter l'enfer. Leur bonheur c'était la certitude que malgré poux, guenilles et infirmités des anges les attendaient au-dessus de leur tête. Ils avaient un solide bagage de proverbes qu'ils enrichissaient avec finesse à mesure que les joies suivaient les peines... Les forêts et les bêtes débordaient d'histoires à raconter... Les fées faisaient ce qu'elles pouvaient et l'eau bénite guérissait de la mauvaise mort à défaut de faire souvent des miracles.



 
Les hommes modernes sont difficiles à comprendre. Ils font moins attention à ce qu'ils ont sous les pieds et au-dessus de la tête. Quelque chose de plus leur travaille la cervelle. Des philosophes les ont persuadés que ce qu'ils avaient dans le crâne valait tout l'or du monde et forts de cette nouveauté ils se sont mis une fois de plus en quête de Terres Promises... Ils se sont rassemblés en masse pour produire en masse. Ils ont pris l'habitude de courir d'une pendule à l'autre sans s'occuper du soleil ni du vent. Ils se sont débarrassés des patois et des sabots pour monter dans les trains. Lancés sur les pentes du progrès, ils ont chanté le plaisir d'être ensemble... Mais ces hommes presque aussi intelligents que les dieux n'arrêtent pas de refaire le monde... Il n'est jamais à la bonne taille, il y manque toujours quelque chose, il n'est jamais parfait, il n'est jamais à la mode. Des "Guides Suprêmes" et autres faiseurs de miracles se sont acharnés à remplacer les vieilles machines pour aller au ciel, par des engins tous neufs et mille fois plus rapides pour faire le bonheur des peuples. Ces engins perfectionnés permirent de trier les hommes et de jeter les indésirables dans les ténèbres. 

 
Mais à l'usage les remèdes furent bien pires que le mal. Les hommes abasourdis par les difficultés de l'intelligence et les pieds de nez de l'Histoire, fatigués et méfiants, remirent aux marchands les affaires du monde. 
Les marchands ne sont poètes que la nuit quand ils rêvent d'immenses parkings devant d'immenses rayons d'innombrables marchandises produisant de fantastiques bénéfices... Pour le reste ce sont des experts dans l'art de faire baver le client... Des armées de consommateurs se poussent au même moment sur les mêmes choses, chargent leur libido sur des charriots à roulettes : le caddy fait l'homme. Ces foules de la distribution et de la communication ondulent sur les trottoirs au rythme de la musique industrielle, se couchent dans les images modèles et cherchent en vain la potion magique qui leur donnera le sentiment d'exister... Les individus se bousculent, se gênent. Il perdent le goût et la mémoire du goût, s'épient, maudissent leurs pères, courent après un bon "tuyau" pour jouer le bon cheval et se plaire enfin dans l'illusion de leur différence... Puis ils pourrissent et meurent de chagrin sans faire ni bien ni mal...
Quelques inquiets nous prédisent que bardés de logos et vidés d'eux-mêmes, ils se lanceront dans la fureur, faute de s'être donné le temps de vivre... Un autre déluge en quelque sorte, avec les odeurs de vase et de carnage, la noyade des livres et des lecteurs, la mort récompensée... Je lis parfois sur des visages sans histoire le fol désir du Jugement Dernier et de l'effondrement des étoiles... Dante et Virgile au huitième cercle de l'enfer surent que l'Homme n'est pas né pour être, mais pour connaître les sciences et exercer son courage... 
Ils diraient aujourd'hui que l'horloge des médias et de la culture tourne dans le sens contraire des aiguilles d'une montre... Que Rome n'est plus dans Rome et que les bons chemins ne mènent nulle part ... 








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