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10.11.2013

BONHEURS FRANCAIS ......





Ducruet.©.




Ce n'était pas une semaine comme les autres, il fallait choisir entre l'Europe et la France... Enfin c'est ce que me disaient des anciens de Sciences-Politiques et de l'E.NA, que reprennaient en choeur des grenouilles médiatiques...
J'avais visité la semaine précédente une exposition des "Chefs-d'oeuvres Français des années 1600 à 1820 dans les collections germaniques".
Nous connaissons assez mal nos peintres chez nous et nous sentons peu leur originalité. La Peinture Française se reconnaît de loin. On dirait que dès le Moyen-Age les français comprennent qu'en peinture on choisit posément ce qui mérite d'être vu : d'abord l'acte de peindre et ensuite les gens et les choses. On se tient entre le premier et le deuxième degré de la conscience...

Dehors nos monuments ne sont pas toujours très puissants. Les plus jeunes pèsent du poids moyen de la démocratie et d'un consensus acrobatique. Il arrive qu'ils soient hors pair quand les ingénieurs prennent le dessus sur les académies ou quand la politique oublie les petits copains... La Tour Eiffel devait être démolie ce fut la cause de son permis de construire... La République peine à jouir dans ses bâtisses et nos ministres recherchent au Mobilier National les canapés de l'ancien régime... L'Arche de la Défense n'augure rien de bon en matière de socialisme, Bercy ne fait pas le poids d'une résidence principale... La Grande bibliothèque sera peut-être la capitale mondiale des toiles d'araignées... et des glissades sur le verglas. Il nous reste malgré tout, des merveilles.




La France se porte mal. C'est le bruit qui court... Je la trouve semblable à elle-même, toujours fascinée par la guerre civile, travaillée par ses forces centrifuges, raidie par ses habitudes, fossilisée par des corporations infatigables, ingouvernable par de braves gens, intenable en temps de paix, insoucieuse du monde et de ses voisins... Les français ne sont ensemble que par un espèce de miracle et grâce à d'épisodiques séances de cravache dont ils ont le secret et dont ils sont fiers. La Fontaine s'est assez moqué des grenouilles demandant un roi pour qu'il faille s'appesantir sur le sujet. Contre cette passion de la pétaudière, la peinture joue le jeu de la sérénité, de la pénétration et de l'esprit souverain.


Lebrun peignit sa mère de profil, en tons d'ocre. Voltaire aurait pu dire que dans ce petit tableau, Louis XIV vit un modèle de grandeur... Le Saint Sébastien de Berlin si proche de la Nativité (musée de Nantes), si loin du Caravage, car silencieux et lisse comme une astronomie... Les paysans incroyables de Le Nain qui ridiculisent les tavernes de Hollande : pour la première fois au monde des paysans qui pensent, des enfants aux pieds nus sur les gris-bleus de la lucidité, Picasso déjà là... Les peintres du midi ( Pierre Subleyras) plus lisibles que les autres, capables de tableaux blonds, de masses simples et pleines , de lumières latines et de vérités sociales... Claude Gellée si peu du Nord et si loin de Rome. Largillière, amoureux des étoffes, Nattier rosissant les lèvres, Boucher voyant avec les yeux du roi, Greuze libre sans le savoir, Fragonard qui ne dort jamais, Chardin toujours à la cuisine, David aux portraits irréprochables... J'ai vu des Poussin à nous jeter par terre... L'autoportrait où il ressemble à Descartes, costume noir, à peine coiffé, la tête s'appuyant sur un fond neutre, feu d'artifice de la liberté... " L'Empire de Flore", grand tableau à personnages mythologiques : les corps plus remuants que des vrais et pourtant serrés dans l'acier, les chairs redécouvertes à chaque centimètre, pas un détail qui ne résume l'ensemble, pas un ensemble qui ne fourmille des mille reflets de lui-même... En voilà un qui dit les choses à la française, donc en un mot :" Cela ne se fait pas en sifflant...", ce qui voulait dire qu'au dix-septième siècle les crétins faisaient déjà du bruit... Watteau n'eut de sujets que pour les naîfs... des embarquements que pour d'effrayantes spirales, des tableaux désencombrés... L'enseigne de Gersaint, quel sablier ! Quel retournement des certitudes! Quelle vitesse des disparitions!... les gris plus actifs que les formes! Ce qui compte en France ne s'adresse guère aux pouvoirs, on dirait que l'oeil y fut, comme la langue, machine à faire le tour des exceptions, qu'il n'y a de place que pour des singuliers, que ce peuple de jardiniers sait tout des racines, des feuilles et des odeurs de l'homme... La peinture Française est celle qui ne raconte rien et se montre sans larmes ni morale, main de fer dans un gant de velours, équatoriale entre les anges et les bêtes, lucide sans effroi ni charité, souriante et terrible. Aux antipodes du péché originel...

Poussin naquit normand et mourut à Rome. C'est peut-être le plus génial de nos peintres. Il décide à trente six ans d'épouser la fille d'un pâtissier, de ne plus quitter Rome et de croire en lui-même. Ses premiers chefs-d'oeuvre datent de ce moment-là. Il regardait tout avec minutie et réglait son emploi du temps sur ses désirs. Il parlait peu mais on venait de très loin pour l'entendre. Il s'offrit une paix royale grâce à son génie de l'indépendance. Il fut prodigieux jusqu'à la fin, toujours en prise avec la vie. Sa grandeur fuyait le tapage, savait aller et venir entre le détail et l'universel. Il imaginait à tous les niveaux. Son " Empire de Flore " bouge partout, promène des filles blondes dans un espace blond plus sensuel, délectable et en bonne santé qu'aux meilleurs moments de l'Art Nouveau ou de la Sécession... Un poète inspiré qu'Apollon désaltère d'une coupe d'or, le nombre d'or étant partout, pure jouissance de dessin florentin, de couleurs vénitiennes, dépassés et entraînés par une passion folle, un emballement des facultés à diviniser les hommes et paganiser les paysages... comme le secret du secret : l'intellect et la chair à jamais complices dans l'acte de peindre. Le monde sans fin.





 Ce Watteau qui semble chercher un couvercle de bonbonnière n'est énigmatique que pour les amateurs de petites histoires. Il s'agirait d'une " Récréation italienne ", ce qui ne veut rien dire puisque en fait de récréation nous sommes dans la cour des grands : il se passe autant de choses dans les variations de gris du petit bois que dans le tressage jaune-rose-bleu contrasté de blancs et noirs du premier plan... Le piédestal et sa boule ont autant de force que l'homme debout... Tout se vaut, les branches, les statues, les filles aimables et les élégants, c'est l'exact merveilleux de la peinture, l'esprit circulant partout comme les divinités de l'ancien monde se mettant dans les arbres, les courants d'air et les sources... C'est l'utopie française par excellence: par tous moyens faire descendre le paradis sur terre et faire un jardin de tout.





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