La question reste posée. Pour ou Contre les images? C'est une question de fond, c'est une question de confiance.
Elle remonte à la nuit des temps quand il s'est agi de savoir si l'essence du monde avait une apparence. Il y eut des meurtres entre les descendants de Caïn et d'Abel. Ce fut irréductible comme les meurtres entre nomades et sédentaires. Là où ils furent confiants dans leurs propres forces, les hommes ont donné du volume et du poids à leurs pensées, injecté les effets de la pesanteur dans les statues, projeté leurs visions sur les murs. Les inventeurs de la géométrie et de la raison ne furent pas étrangers aux muscles d'Héraclès, au casque d'Athéna, au trident de Poséïdon. Le rusé Ulysse eut des adversaires et des protecteurs dont nous connaissons le portrait.
Le Dieu unique et vengeur de la Bible, Allah tout puissant le Dieu du Coran, sont insaisissables à coups de crayons ou avec un pinceau... Il est interdit de les modeler dans l'argile ou de les tailler dans le marbre. On peut tout juste graver leurs paroles sur des tables de pierre ou les calligraphier verset par verset. Ceux qui les craignent ont juré une fois pour toutes que c'était folie et blasphème de les représenter.
Il y aurait donc deux sortes de mondes. Celui où tout est visible, où tout doit être montré. C'est le nôtre et il devient nécessairement obscène. Puis il y a l'autre où rien d'essentiel ne peut sauter aux yeux, ni Dieu, ni la Jérusalem Céleste, ni le corps des femmes, ni les queues de cochon ... un monde qu'Allah crée encore...
Les choses, pourtant, ne sont pas si tranchées.
Dès le XVe siècle Masaccio ne peint plus des icônes. La tête de Saint Pierre est déjà la tête de tout le monde, celle d'un pécheur qui vit et qui pense. Nous sommes dans le singulier, loin du délire. Par les ombres et la perspective l'apôtre fixe les codes d'un espace à trois dimensions où l'homme est doué de raison et pourvu de mathémathiques. Il pose son regard sur un monde où les lois physiques révèlent les entreprises divines.
Matisse ne rêve pas et ne s'occupe du monde que pour le tromper. Sa femme sans son chapeau et sa robe, n'est plus qu'un petit van Gogh qui aurait imité un petit Vermeer. C'est qu'il s'agit de préparer la Peinture à rendre d'autres services, la débarrasser du plaisir artisanal de la représentation pour que, dans un espace dénué de perspective, soient libérées des énergies primordiales. L'homme n'est plus au centre du monde, l'espace devient celui d'Einstein et de Poincaré, les commencements et les fins ne sont plus dans les révélations du Livre mais dans quelques équations géniales. On ne peut plus, dans ce monde là, toucher du bois pour avoir de la chance... en faire le tour pour le connaître... C'est un monde qui brille et ne chauffe pas, comme les étoiles...Il faut s'y faire.
Malevitch fait sauter la bourgeoise comme on fit sauter dans le panier la tête de Louis XVI. Il ne reste que le Peuple et des idées à revendre. Aller au fond de la Peinture c'est la vider de tous prétextes, de toutes intentions, de toute morale, de toute histoire pour donner à des nouveaux-nés les instruments nécessaires au rejet du passé et à l'invention de l' homme neuf... Ce puritanisme absolu fait de la peinture une pure technologie. Mais hélas les peuples apprennent moins vite que leurs tyrans... 100 ans après, le carré noir sur fond blanc ferait très bien chez hewlett-packard , mais on ne l'imagine pas aux Restaurants du Coeur... C'est peut-être que quelque part les peuples veulent garder leur enfance... qu'ils ne sont pas pressés de voir la fin du monde...
En fait, Dieu n'a rien à craindre. La Peinture ne risque pas de le coincer sur la Terre. Un des beaux Musées du monde est à Téhéran, hérité du Shah d'Iran... Jalousement protégés par des ayatollahs, les peintres occidentaux du XIXe et XXe siècles y sont montrés avec tous les égards... C'est qu'à force de chasser la religion de la Peinture, puis d'en chasser la morale et la politique, plus aucun tableau digne de ce nom ne risque en occident d'être regardé au premier degré, sauf par des crétins incompressibles ... Que toute oeuvre peinte, même figurative est ressentie comme une abstraction des conditions de l'esprit. Le monde sous les yeux n'existe plus... sauf obscène, dégueulasse et transitoire. Il se passe sur les écrans plats, dans les films X, en Palestine, aux réunions du FMI.
Quel artiste brûlerait d'y donner son temps? Trop d'images... plus d'image.
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