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10.10.2013

REBEYROLLE ...




Paul Rebeyrolle ... Je garde un petit livre soigné, publié en 1990, de portraits réunis par Jean-François Bauret lors d'une exposition à l'Espace Photographique de Paris. Rebeyrolle avec ... Riopelle, Vieira da Silva, Alechinsky, Bram van Veld, joris Ivens, joan Mitchell ... Il est calé au centre d'une photo carrée, la tête en contre-jour, accidentée avec exubérance. Une tête aux accessoires de bon vivant : mal peignée, sourcils en broussailles, mélange de barbe et de moustache, quelques rides profondes, le nez fort, le front haut, sous les yeux un certain manque de sommeil, les restes d'innombrables casse-croûtes... Un physique d'ouvrier ou d'artisan à la carrière bien remplie... Les yeux entament un interminable va-et-vient :" Je vois qui tu es, regarde-moi bien et n'oublie pas ce que je vais te dire..."

Il parlait de Peinture sans faire de ü... ni de petits p ... Ce ne fut certes pas un martyr puisqu'il eut sa rétrospective au Grand Palais dès 1979, ce qui n'est pas mal pour un autodidacte après trente ans de travail!... Il était fou de pêche à la mouche et de champignons, il avait de nombreux amis du meilleur monde, celui des gourmands à l'esprit vif. Sartre et Foucault firent savoir tout le bien qu'ils pensaient de lui et par miracle son passage au PC ne l'a pas catalogué  "globalement positif "... S'étant planté boulevard Raspail devant un Rouault, puis derechef au milieu d'une bande de Soutine, il se dit qu'en peinture il fallait en venir aux mains... Il ne risquait pas de perdre la tête quand il sortait du Louvres après de longues conversations chez Zurbaran, Goya, Caravage, Courbet, Rubens, Delacroix, Rembrandt, Géricault... Son démarrage des années quarante cinq-cinquante est un peu vite oublié...
Il fut clair : " La condition humaine ne s'arrange pas... nous passons notre temps à nous bouffer les uns les autres... " Ce docteur Bombard savait-il que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire? Que des causes plus exotiques prendraient le pas sur la vie grincée des pauvres et la bronchite des chômeurs?... Croyait-il au remède miraculeux de la honte bue?... La classe moyenne a son usine à gaz du côté de la rue Rambuteau, on n'y compte plus les bons tuyaux et les manches à air, mais on n'y trouve aucun Rebeyrolle... Sur les trottoirs d'en face traînent des chiens sans méfiance, des SDF et pas mal de suicidaires...







Cette Suzanne au bain n'est pas un Tintoret, mais si vous avez le sens de l'humour, vous saurez quoi en faire. Trois monstres convoqués dans un plan de taches blanches, liés par des gris moyens, se partagent une salle de bain sous vos yeux . Derrière une baignoire bordée de noir deux têtes ignobles, plantées là comme deux champignons, participent d'une affaire lamentable...Le monstre femelle, à peine plus mystérieux qu'une gorge de diphtérique, vous laisse entendre qu'en sous-main vous pourriez avoir des surprises... Cette machine d'écorcheur démonte quelques secrets du conformisme...
Il se disait classique, c'est un mot risqué. Certes il aimait les "Sujets" comme on fit des batailles, des cataclysmes et des crucifixions... Il pouvait donner des formes aux déchaînements de la bêtise et de la douleur. Il faisait le pont avec les ascètes de Zurbaran, les cauchemars de Goya et les chevaux fous de Delacroix... Soyons attentifs aux formes et davantage encore aux vides qui les séparent... 






Goya s'y connaissait en sorcières, anthropophages et chairs dégoûtantes... Des trognes engluées de noirs projetaient des bouches trop larges et des yeux voraces, s'empilaient pour des festins de terreur... parfois des taches roses, parfois une montée de jaunes, un bleu plombé, sortaient de ses puits de sang caillé et de charbons éteints... Vanité des vanités... Vérités épouvantables, terreau humain grouillant de passions véreuses, de chicots dans des gueules ouvertes, de têtes scalpées, raclées, de langues putréfiées et d'orbites agrandis avec les ongles... Matière de la fin et des origines...Il faut suivre Dante et Virgile, passer la porte à l'inscription fameuse et descendre en spirale tous les étages de l'enfer, pour la visite de l'Homme...

Rebeyrolle qui fut aussi expert en eaux vives, chemins frais et vie champêtre, construisit aussi d'étranges portiques ouverts sur d'étranges enfers... Sordides et déglingués, de pauvres objets et des carcasses remuantes se partagent une poubelle. Des suicidés gisent dans des baignoires comme des calamars crevés. Des morts-vivants s'entre-dévorent la pâtée mille fois déglutie de cadavres plus ou moins désossés... C'est l'Obscénité, le deuxième dessous des images propres , lisses et bleutées du marketing... Le " Commerce " en bruns, noirs, blancs et jaunes, pot catalytique d'un monde en pleine bourre, croque les appétits d'un pauvre colosse planté sur ses excréments... Cette démonologie débarrassée de diables et de livres saints, nous traîne comme des lépreux sur les sentiers de Mélancolie... mais avec le mot pour rire, une crécelle, une vielle, une danse macabre où s'empêtrent des stupéfaits, tirés au vol ... 

Quand vous passerez chez Rebeyrolle, allez à la rivière, puis venez vous asseoir près du chien de métal. Coupez une tranche de pain de campagne, tartinez vos rillettes, faites sauter le bouchon de votre bouteille avec le pouce, buvez un coup avec vos amis... Telle est la cène des funérailles, sans dieu ni maître...

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