Galerie Cavalero. 1980. Rue d'Antibes. Cannes.
C'est un des endroits du monde où la peur de la mort fait des miracles. Un long boyau qui mène des environs de la Mairie à proximité de la gare de Cannes, que l'on arpente dans un sens et dans l'autre comme on le fait pour la Croisette. Les voitures s'y coincent et mettent trois quart d'heures pour en sortir... Davantage quand il s'agit de vrais ou faux bolides conduits avec des Rayban et des gourmettes ... Sur les trottoirs vont et viennent des étrangers à l'aise, des pêcheurs de fringues remarquables, des marins de flottes en tournée. Des va-nus-pieds s'arrêtent devant des pompes à 1000 euros, des désespérés respirent un petit air de succès, tombent sur des morceaux de havanes qui dépassent les dix centimères, ou sur des ampoules de médicaments pour le foie... On y voit tout le monde mais on n'y rencontre personne. On vient là pour expier sa nullité, souffrir ou jouir de son innocence, suivre des marchandises de luxe dans des sacs de marque... C'est là que l'argent fait le bonheur... Mais le plus extraordinaire de la rue d'Antibes c'est que des portions trottoirs gardent les traces des fers à chaussures de Picabia ou des semelles de Picasso:
Il y eut un lieu de plaisir à la hauteur du numéro 20. Lionel Cavalero avait été un excellent nageur puis il vécut au Brésil, fit du commerce de pierres précieuses, revint à Golfe Juan tenir une plage où les peintres connus des années cinquante et soixante se retrouvaient l'été. En parlant aux uns et aux autres, en regardant beaucoup et en achetant pas mal, il se prit avec sa femme d'une passion de collectionneur et finit par monter sa galerie d'art moderne et contemporain où sont passés de très remarquables artistes : Bryen, Poliakoff, Debré, Schneider, Istrati, Dumitresco, Atlan, Bartoletti, Rezvani, Seund ja Rhee, Fautrier, Wols, Atila, Leppien, Mansouroff, Chu Teh Chun, Ado et Key Sato, Boumeester, Gastaud, Luc Peire, Hartung, Lam, O. Dominguez... j'en oublie... J'y ai vu aussi de très beaux Herbin et Sonia Delaunay, quelques rares Picabia...Toute une génération et davantage. En soixante dix neuf et quatre vingt j'y allais une fois par semaine et après quelques préliminaires nous finissions en parlant de peintres et de peintures... Il avait dans une petite remise des toiles qu'il allait chercher pour les besoins de la démonstration... J'ai vu un Olivier Debré de 47 ou 48 qu'on aurait pris pour un Picasso si dans le bas à droite vingt centimètres carrés n'avaient annoncé tout ce qu'il ferait sur les bords de Loire... Sa femme parlait peu mais dans le mille... Il aimait raconter les dessous de marché, les incohérences ou les âneries de certaines "autorités" culturelles... On a bien ri quand il racontait que Man Ray donnait des toiles pour rien, sachant qu'elles ne valaient pas grand chose, mais que le Musée Beaubourg s'était fendu d'un million de francs ( circa1978 ) pour en avoir une, alors qu'en même temps Fromanger fut de sa poche pour sa rétrospective. L'année de la fermeture, au mois de juin 1980, les Cavalero nous ont offert un chaleureux gueuleton d'artistes, sans adieux ni discours, comme je n'en ai plus vu. Depuis les années quatre-vingt, le temps, les gens, les arts, la mode ont pris l'allure, le galop, les tronches du business...et des produits "dérivés".
Galerie Cavalero. 1980. M.Ducruet. Circus.
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