Un jour vous vous retournez, vos souvenirs ne sont plus là.
Ce qui vous en reste ne vous permet pas grand chose . Vous vous dites qu'ils vous rejoindront, que vous ne devez pas vous alarmer. Votre vie a été longue, ils étaient nombreux. Ils vous suivaient partout, parfois vous réveillaient la nuit et vous empêchaient de dormir. Certains n'étaient que des intrus, vous ne saviez plus si vous les aviez rêvés ou vécus... Il vous fallait du temps et de la concentration pour vous rendre compte de la supercherie et la renvoyer au diable. D'autres vous faisaient la conversation avec insistance. Vos amours se sont ainsi perpétuées et bien des yeux ne vous ont pas quitté. Vous étiez tenté quelques fois de revenir en arrière et de marcher dans les pas de votre père sur la terre qu'il avait fraîchement retournée, de cueillir une prune verte et de regarder les trois herbes qu'il cueillait pour frotter les piqûres de guêpes... vous l'avez accompagné sur le porte-bagage de son vélo, vous aviez la tête en arrière où les amandiers filaient sous le ciel. Un hiver vous êtes passé près d'un baquet rempli de glace transparente, un printemps vous avez lancé un papier qui s'est envolé en tourbillonnant par dessus le toit... Vous aviez posé le nez sur le métal d'un réveil-matin et vous n'avez pas oublié son odeur d'huile, retrouvée sur des pompes à bicyclette, des carabines et des machines à coudre...
Peu de gens vous adressaient la parole, mais un jour près de la lumière verte d'un poste de radio votre mère tricotait un chandail en disant qu'il était "bleu pétrole" ... plus tard vous avez su que c'était une sorte de turquoise... Ce soir-là elle vous a paru très gentille et très belle...
Vos millions de mots et d'images remontaient dans vos journées comme les bulles dans une casserole d'eau qui frémit, sorties de partout et de nulle part, passant par là et reparties vers le fond... Vous n'étiez pas maître de la situation, vous ne saviez pas pourquoi ce visage ou cette fenêtre ou ce chien... Il faut bien que vous ayez appris quelque chose mais vous ne savez plus ce que vous appreniez, vous savez à peine si l'on vous aimait ou si vous avez aimé ... Votre vie s'est jouée, vous avez roulé sur la table comme les dés qu'une main aurait lancés, vous avez essayé de freiner ou d'accélérer, mais vous n'aviez choisi ni le jour, ni l'heure ni la lune ni le tapis...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
:-))