Remarquez qu'on en parle de plus en plus, pour la défendre ou s'y reposer... Tout le monde lui prête les vertus qui manquent à la ville... Ce fut une déesse généreuse, pourvoyant la Terre d'une formidable quantité de bêtes et de fleurs, elle faisait couler des eaux claires et les hommes lui sacrifiaient des taureaux pour la remercier de la beauté des femmes, des ombrages de l'été, de la variété des fruits... L'Age d'or a-t-il existé? Je n'en sais rien, je ne veux même pas le savoir. Je ne crois pas que tous les passés chantaient, que les hommes s'émouvaient jusqu'aux larmes des splendeurs du matin, que toutes leurs épouses ondulaient comme des branches alourdies de prunes au vent du mois d'août... Je ne crois qu'une chose : quand il y avait moins de machines et moins de sportifs dans les montagnes, on n'avait nul besoin de s'inquiéter du monde, la peur du loup suffisait...
La Nature n'est qu'une idée: nos ancêtres ont essayé de savoir où ils mettaient les pieds, puis s'apercevant que leur tête voyait plus loin que leurs yeux, ils en firent une mère inépuisable, s'imaginèrent que le vagin du monde débordait d'offrandes, prirent l'habitude de se servir sans demander, gardant leurs prières et leurs sacrifices pour quelques coups du sort comme les tremblements de terre, les inondations ou les sécheresses... Les grecs, rusés comme Ulysse, ont trouvé qu'elle parlait une langue que les hommes peuvent apprendre. Ils ont compris que les mathématiques pourraient un jour donner le pouvoir de commander aux montagnes, de chasser les maladies, de devenir riches et redoutables... Les méandres de l'esprit posaient aussi des problèmes. Dans le sac de noeuds de la connaissance il fallait trancher, tailler les poutres maîtresses de la Vérité, ce qui est affaire de raison et de logique comme l'ont enseigné Socrate et Aristote... Les coups d'épée d'Alexandre sont un peu les enfants de ces découvertes et la folie des Césars en garantit la grandeur. Mais il arrive que la Nature se rebiffe quand les cervelles tirent plus que de raison sur ses ficelles. Elle renvoie les hommes à eux-mêmes, prédateurs et obsédés de chair, le sexe plus actif que la mémoire... Nous descendons tous des femmes qui vers l'an mille ont eu plus de six enfants...
C'est le cas d'un orphelin de Genève, recueilli puis cajolé par une femme mûre qu'il appelait maman. Tel fut son chemin de Damas. Il confessa toute sa vie que la Nature est bonne, que si les hommes sont méchants, ils ne sont pas coupables ... Il disait qu'à l'état de nature ils sont vertueux sans même le vouloir. Il s'aperçut que plus on allait au ras du sol et plus on rencontrait de belles âmes... que les vicaires étaient meilleurs que les curés, les curés meilleurs que les évêques etc... que le monde vivait à l'envers, et que le bonheur des pauvres devait remplacer le plaisir des riches... Il disait que les enfants n'étaient pas des miniatures, il recommandait de les conduire sur des routes parfumées pour que leur curiosité s'éveille... Cet écrivain de génie qui fut aussi musicien, pleurait et faisait pleurer... Pour donner plus de poids à ses larmes il se débarrassa de cinq enfants en bas âge et finit ses jours dans le parc d'un château. On lui doit de beaux livres et des rêves prémonitoires, comme celui que nous avons autant de coeur que d'esprit et que l'intelligence de l'un ne va pas sans l'autre... La Raison et la Vertu se sont vengées de sa mort : vingt ans de batailles dans toute l'Europe, avec pour récompense les préfets, le système métrique, le rétrécissement de la conversation, une espèce de saut vers l'obscénité des sociétés et des idées. " Avez-vous des nouvelles de La Pérouse? " demandait Louis Capet en se hissant dans la charrette... On imagine mal que le charme d'une époque se montre au moment de sa fin...
C'est pourtant ce qui nous arrive et nous voudrions que la fin dure encore....
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