"C'était un fameux navire
Que le navire du forban,
Il avait cent lieues moins guère
De l'avant jusqu'à l'arrière,
Un mousse aurait mis cent ans
Pour grimper dans ses haubans...
On a bien fait de l'occire,
Ce sacripant de navire...
Car s'il existait encore,
Nous serions tous à son bord...
Nous serions tous à son bord..."
Telle chanson fut peut-être chantée par votre père au-dessus de votre lit en bois quand vous aviez trois ans, de sorte que les navires vous furent étrangement familiers, comme la haute mer dans les pages de livres où les pirates sont pendus et pourrissent en cage de fer... Vous connûtes les îles où l'on enterrait des doublons d'Espagne, des diamants bruts et des perles arrachées aux fiancées de Séville données au nouveau Monde ainsi que des caisses de Zurbaran. Trois mois d'Atlantique, une halte dans un couvent de Carthagène, dix semaines sur des mulets dans les ravins surchargés de végétation pour atteindre le Pacifique, un autre navire allant aux Philippines, quatre mois peut-être jusqu'à Manille aux églises folles, aux couvents peu surveillés et aux moines de sac et de corde. Avec de la chance les belles d'Espagne arrivaient encore vierges au mariage pour de fragiles alliances entre des familles séparées par une demi planète... Car s'il en fallait pour qu'une fille passe la vingtaine et trois accouchements à Madrid, que ne fallait-il pas sur des navires bondés, secoués et poursuivis ?... pour passer des forêts étouffantes, boire des eaux malades, pourrir sans espoir dans les calmes plats, ouvrir enfin ses malles dans des maisons de bois visitées jour et nuit par les serpents, les araignées et les tarières... Curieuses Espagnes sur lesquelles ne se couchait pas le soleil... Incroyable écartèlement du corps et du langage !... Trois ans parfois pour qu'une recommandation hâtive reçoive une réponse immédiate... Tout Gouverneur agenouillé devant son Roi, savait que les retrouvailles se feraient aux cieux... Des hommes à perruques, rubans et talons rouges tinrent d'une main ferme le bâton d'amiral, habillés de ruineuses dentelles impropres à la guerre, allant aux abordages, débarquant vaille que vaille l'or et l'argent dans Séville... Parfois sur les dunettes passait une infante à la revue des flottes au large de Cuba...
Comment naissent et meurent les peuples, flamboie la jeunesse, disparaissent les craintifs? Tout suffit aux vieillards... Mais que suffisait à Fernando Cortès brûlant ses vaisseaux sous les yeux de sa maîtresse indienne? Quel autre que Bonaparte pour se faire voir du haut des Pyramides? Pensons aux paquebots à roues débarquant des épouses hollandaises en mer de Java, dont celle du nommé Dubois découvreur du Pithécanthrope... Vous rappelez-vous Loulou, Prince Impérial, trahi par une mauvaise selle et sagayé par les zoulous?... Ou tel maréchal de France, dont Clémenceau jura qu'il eut toujours des couilles au cul, même quand ce n'étaient pas les siennes...
Où sont les "bons" peuples et les "bonnes" Histoires?... La République des petits saints bronze entre le Lubéron et l'Ile de Ré, tord le nez puis le pince devant notre passé d'orgueil, plaide coupable de nos victoires... "Nous ne sommes que des mouches..." disait un sénateur usé devant une montagne de cochonnailles... C'est dans Pétrone et c'est repris par Fellini... Certes notre Sénat n'est pas celui de Rome, mais si Paris valut une messe ce ne fut ni en baillant ni en cachant de beaux seins... Mensonge peut-être, comme sont travestis nos ancêtres Gaulois et d'autres fariboles d'instituteurs... Mais il faut des moulins à vent et des illusions pour supporter la saine fatigue d'être un peuple et faire en pataouète de banlieue trois phrases de Molière... Les Français ont-ils envie d'être ensemble?... Ils sont avec personne et avec tout le monde, ils détestent leurs pauvres, ils aiment ceux des autres... Ils adoptent à dix mille kilomètres et crachent dans la soupe. On ne compte plus les bedaines et les voix grêles qui prêchent la pénitence, les queues de travers qui chantent l'amour universel... Au fond de ce panier grouillent les minorités, les identités... toutes sortes d'écrevisses marchant à reculons comme jadis les corporations, les provinces, les privilèges...
Les grassouillets partent sans payer, s'installent à Londres et à Bruxelles... Les vaches regardent les TGV... Un ministre annonce que la dette passe les 3000 milliards... Le Charles de Gaulle fête Trafalgar avec une hélice tordue... L'Education Nationale fête ses pourcentages dans l'allégresse, comme Vichy fêtait ses jeunes filles ... Nous voilà mûrs pour un peu d'Histoire, une kermesse de méchancetés collectives, d'ouverture des armoires à balai... Les banlieues ont envie de promenades aux flambeaux... Les Bretons et bien d'autres de grandes processions ... Qui la République fera-t-elle sauter sur ses genoux ? un nain jaune ? une dame de pique ?... Un gigot d'agneau?... Une main de fer dans un gant de fer ? ... Il se pourrait que la France se retourne et dise :" Qui t'a fait roi?..."
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