Cézanne conseille de prendre son tuyau de poêle comme modèle quand on manque d'idées. Les tuyaux de poêle se font rares dans les villes et les campagnes, mais si on ouvre les yeux près de soi, on fait bouger ce qu'on a sous la main. J'ai depuis quelques années une boîte de carnaval qui sert aux enfants de passage et à quelques mélancoliques. Les masques servent un temps à rendre les hommes amis des hommes, ils protègent les malheureux qui détestent leurs semblables, ou s'en moquent ou tremblent à l'idée de les voir de près... Plus ils sont nombreux et plus la foule se rapproche. A Venise se précipitaient de l'Europe entière les filous, les esprits forts et toutes sortes de concupiscents pour mener sous les masques des trains d'enfer ...
Si la mélancolie vous prend, c'est qu'il vous manque des forces pour vous lier à autrui, que vous conspirez pour avoir la grosse tête... Vous cachant votre intime persécution, vous ne voyez autour de vous que des masques, vous ne faites confiance à personne, vous ne prenez du plaisir qu'à l'ombre et déguisé comme si tout n'était que démence. Mais à Venise, disait un voyageur, les parfums et les masques tiennent lieu de noblesse et " ... par miracle fort estrange dans toutes ces folies de carême, le peuple et les personnes de qualité paroissent plus honnêtes en marchandise et plus avertys dans les Beaux-Arts que le reste de l'Europe..."
Les masques quelquefois montrent ce qu'ils ont derrière la tête. Je veux dire que sans eux personne ne ressemblerait à personne ou que la magie des hommes serait invisible puisque la vérité aurait trop de visages et que tous les menteurs prendraient des rides. Montaigne et La Rochefoucault quand ils eurent passé l'âge des plaisirs et furent gagnés par la passion de l'Homme mirent en pièces les masques du coeur et de la cour, comme Stendhal après l'Empire mit le doigt sur l'imagination rabaissée...
Le Destin a des figures qui ne sont pas la sienne, les astrologues en font leurs choux gras et les rêveurs cherchent la Belle au bois dormant comme si les forêts de ronces cachaient de tendres clairières pour des amours sans fin. Au dernier jour , destin ou pas, c'est une balance précise qui tranchera de la vérité ou du mensonge, les masques étant tombés... Faut-il se moquer quand nous sentons l'haleine et la main de la mort ? Ou gigoter en d'épouvantables stupéfactions ?
Auguste, empereur de Rome, demanda s'il avait bien joué la comédie de la vie. Un vieux chasseur voulut son verre de bourgogne et sa bécasse bien préparée. Ma mère joignit les mains demandant une dernière fois que l'on prie pour elle. Un prisonnier se cassa la tête contre le mur pour ne pas parler. "Femme qui pète n'est pas morte" dit une cancéreuse en rendant le dernier soupir*... Telles sont quelques échéances et s'il faut encore s'embarasser de masques, disons comme le Roi de Navarre que " Paris vaut bien une messe..."
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