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7.09.2013

JUSTE PRIX ...











J'ai de la chance. On voulait que j'aime mon prochain comme moi-même. J'ai profité des circonstances pour avaler tout le Latin nécessaire et pas mal de Grec... Telles furent mes premières armes. Je m'en trouvai si bien et je lus tant d'histoires que je devins étranger dans mon pays et tout juste cousin de mes frères ... Je n'ai pris pour maîtres que les moins défunts des morts car je m'étais aperçu que les vivants sont peu civilisés. Ils sont si sauvages qu'ils ne parlent que du Bien qu'il faut faire et du Mal qu'il faut punir. Rares, ceux qui voient l'Homme déshabillé, inconstant des deux côtés du nombril, poète et baiseur, juriste et bandit, tueur et compatissant. Les apôtres sont dans les livres, les hommes sur les champs de bataille, au bordel ou faisant à quatre pattes le tour du veau d'or. On dit trop de messes, on prononce exagérément le nom de Dieu, on brûle trop d'encens sur les cadavres pour que les anges soient plus nombreux que les démons. Je devins expert en certificats de bonne conduite, bien décidé à survivre, mais lorsque on interroge la morale et la vérité en trois langues, elles donnent des migraines, il faut prendre le parti de sa solitude et chercher ailleurs des raisons d'être là.

Les bonnes adresses sont dans les forêts, dans les cascades sous les frondaisons, à la belle étoile en Août et partout quand y abondent les appels et les traces ... Ce n'est pas que la Nature est belle, c'est qu'elle est prodigieusement indifférente à nos esprits noués... Qu'avec ou sans conscience nous lui sommes redevables de corps et que pendant des millions d'années nous n'avions que le corps pour juger du monde et passer outre le désespoir ... 

Le Bonheur, ce vieil ami des ivrognes et des nourrissons, n'a rien à voir avec le juste prix de la Vie. Les prêtres le promirent à tours de bras et d'indulgences, la main du Prophète, noueuse à souhait, l'offrit au tranchant de son sabre ... mais c'était dans l'au-delà ... On ferait bien de s'aviser que les philosophes n'ont fait du bien qu'avec parcimonie, que les instituteurs firent au carré le lit des boucheries de Verdun et de la Somme... D'autres artisans du Bonheur, comme Henri Ford qui avait son portrait dans le bureau du Führer, firent du parti Nazi un parti de masse... Ce n'est pas un hasard si tant d'esprits "lucides" après 1920 puisèrent des énergies neuves dans la Troisième Internationale et le paradis de Staline... Ils appelaient cela la "Fin de l'Histoire", comme d'autres avaient parlé de la "Fin du Monde" et comme beaucoup parlent aujourd'hui de la "Mondialisation", nouvel Age d'Or... Si nous avions trois sous de jugeote nous comprendrions que les hasards de l'évolution font la part trop belle aux cerveaux malades et aux pulsions de mort. 

Dans les mondes recuits les corps sont notre dernière chance. Ainsi vécurent d'étranges créatures de femmes au siècle de Napoléon III et de la reine Victoria :Isabella Bird évadée d'un presbytère écossais, de la maladie et de l'ennui mortel pour cavaler dans les rocheuses en compagnie de desperados... Alexine Tine richissime hollandaise, refusant les hommes providentiels, allant en vain vers les sources du Nil, tuée par des touaregs avec ses domestiques et femmes de chambre aux confins de la Libye... L'extraordinaire Mary Seacole, métisse de la Jamaïque, épicière et infirmière bénévole de la guerre de Crimée, honorée jusqu'à sa mort par toute l'armée britannique... Ida Pfeiffer, autrichienne et puritaine, exploratrice infatigable de Borneo... May Sheldon, la Reine Blanche du Kilimandjaro....
Sauvées par leur inflexible solidité de corps du bourbier de la vie reçue.

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