J'ai
de la chance. On voulait que j'aime mon prochain comme moi-même.
J'ai profité des circonstances pour avaler tout le Latin nécessaire
et pas mal de Grec... Telles furent mes premières armes. Je m'en
trouvai si bien et je lus tant d'histoires que je devins étranger
dans mon pays et tout juste cousin de mes frères ... Je n'ai pris
pour maîtres que les moins défunts des morts car je m'étais
aperçu que les vivants sont peu civilisés. Ils sont si sauvages
qu'ils ne parlent que du Bien qu'il faut faire et du Mal qu'il faut punir.
Rares, ceux qui voient l'Homme déshabillé, inconstant des
deux côtés du nombril, poète et baiseur, juriste et
bandit, tueur et compatissant. Les apôtres sont dans les livres,
les hommes sur les champs de bataille, au bordel ou faisant à quatre
pattes le tour du veau d'or. On dit trop de messes, on prononce exagérément
le nom de Dieu, on brûle trop d'encens sur les cadavres pour que
les anges soient plus nombreux que les démons. Je devins expert
en certificats de bonne conduite, bien décidé à survivre, mais lorsque on interroge la morale et la vérité en trois
langues, elles donnent des migraines, il faut prendre le parti de sa solitude
et chercher ailleurs des raisons d'être là.
Les bonnes adresses
sont dans les forêts, dans les cascades sous les frondaisons, à
la belle étoile en Août et partout quand y abondent les appels
et les traces ... Ce n'est pas que la Nature est belle,
c'est qu'elle est prodigieusement indifférente à nos esprits
noués... Qu'avec ou sans conscience nous lui sommes redevables
de corps et que pendant des millions d'années nous n'avions que
le corps pour juger du monde et passer outre le désespoir ...
Le
Bonheur, ce vieil ami des ivrognes et des nourrissons, n'a rien à
voir avec le juste prix de la Vie. Les prêtres le promirent à
tours de bras et d'indulgences, la main du Prophète, noueuse à
souhait, l'offrit au tranchant de son sabre ... mais c'était dans
l'au-delà ... On ferait
bien de s'aviser que les philosophes
n'ont fait du bien qu'avec parcimonie, que les instituteurs firent au
carré le lit des boucheries de Verdun et de la Somme... D'autres
artisans du Bonheur, comme Henri Ford qui avait son portrait dans le bureau
du Führer, firent du parti Nazi un parti de masse... Ce n'est pas
un hasard si tant d'esprits "lucides" après 1920 puisèrent
des énergies neuves dans la Troisième Internationale et le
paradis de Staline... Ils appelaient cela la
"Fin de l'Histoire", comme d'autres avaient parlé de
la "Fin du Monde" et comme beaucoup parlent aujourd'hui de la
"Mondialisation", nouvel Age d'Or... Si nous avions trois sous
de jugeote nous comprendrions que les hasards de l'évolution font la part
trop belle aux cerveaux malades et aux pulsions de mort.
Dans
les mondes recuits les corps sont notre dernière chance. Ainsi
vécurent d'étranges créatures de femmes au
siècle de Napoléon III et de la reine Victoria :Isabella Bird évadée d'un presbytère écossais,
de la maladie et de l'ennui mortel pour cavaler dans les rocheuses en
compagnie de desperados... Alexine Tine richissime hollandaise, refusant les hommes providentiels, allant
en vain vers les sources du Nil, tuée par des touaregs avec ses
domestiques et femmes de chambre aux confins de la Libye... L'extraordinaire Mary Seacole, métisse de la Jamaïque, épicière
et infirmière bénévole de la guerre de Crimée,
honorée jusqu'à sa mort par toute l'armée britannique... Ida Pfeiffer, autrichienne et puritaine, exploratrice infatigable de Borneo... May Sheldon, la Reine Blanche du Kilimandjaro....
Sauvées par leur
inflexible solidité de corps du bourbier de la vie reçue.
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7.09.2013
JUSTE PRIX ...
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