La
première photographie fut un paysage. Il est possible que la dernière
soit prise d'un périscope sur une planète trop corrigée...
Ce n'est pas mon sujet.
Qu'y-a-t-il dans la tête des photographes en plein air ? Des monts et des merveilles qui doivent
rendre la vie supportable, prouver que nous sommes quelque part...
La créature et la création réconciliées... Ailleurs les réglages posent des grains de sel sur les travaux
et les jours : colzas aurifères, virginités de la
Nature, fantômes de la brume, bétons pédagogiques... A quoi servent les nuages?
Il est vrai que sur les papiers glacés
les bleus sont plus intenses, les forêts vertes plus proches des
épinards, les icebergs pensifs et les neiges éternelles
... Les couleurs passent à la douane... Les gris infinis, les tons glauques,
toutes les lumières qui avouent des lenteurs, des putréfactions
et des disparitions sont invisibles sur les pellicules, cartes mémoires,
disques durs... Les empêcheurs de tourner en rond vont moisir
sur l'Ile des morts... Fraîcheurs citron des vacances, pourpres
des fraises d'Espagne, safrans des paëllas, Monsieur Propre est photographe
vingt quatre heures sur vingt quatre...
Il
faut du désir pour qu'il y ait du réel. Les paysages de
notre monde sont aussi des marchandises, on s'y rend avec ses pieds, on
y climatise les plages... Tels ne furent jamais le paradis terrestre ou la
Gaule sans bitume ni poteaux électriques... On s'obstine à
l'évocation de l'Âge d'or, on a tort car s'il fut jamais, ce
n'était pas pour les automobilistes... C'étaient des campagnes
romaines ou des Arcadie avec des cieux ennuagés par les dieux,
des frondaisons avec des sources sacrées, quelques montagnes portant
des temples , des moissonneurs , des porteuses d'eau,
quelques méandres de fleuve, quelques ponts et parfois les murs
dorés d'une ville. Dans ces paysages-là tout répondait
à tout, les échos innombrables, les reflets perpétuels,
les légendes et les exploits.
Nos
vents soufflent désormais leur musique sur les fils, nous passons
au petit matin près des betteraves, le fils de Dieu ne bronche
pas. Le soleil se lève sur des parkings.
Mais qu''importent aux chevreuils les ordonnances classiques, les savantes distributions
de symboles, les embarquements pour Cythère ou les nostalgies d'un autre âge?
Il leur suffit de prêter l'oreille et d'éviter les
phares pour que tout redevienne comme avant, que
les odeurs de gazole soient emportées, que les écorces de
l'année soient tendres et qu'à partir de mars il n'y ait
plus de chiens. Alors quelques arbres anciens, quelques dégradés
de bleu ... Un curieux silence vient entre les couplets comme lorsque les mains
se soulevaient du clavier, que l'orgue hydraulique s'arrêtait et que près
d'une Dame de coeur une licorne reposait...
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