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7.16.2013

TUYAU ....




Si l'homme est un tuyau ( Jonathan Swift ), son extase consiste à ce qu'il se remplisse d'un côté et se vide de l'autre.

Les orifices nous procurent des satisfactions immenses. La plus courante consiste à faire passer vers l'extérieur nos matières, sans heurts ni écorchures, régulières et lubrifiées... C'est ici que le matin nous savons si tout va bien, si nos corps sont satisfaits de la veille. Voilà qui s'appelle un heureux évènement, peu différent de notre naissance qui nous fit sortir d'un ventre pour prendre l'air et commencer nos aventures.

Nos plaisirs ne s'arrêtent pas là. Nous réagissons à la musique qui adoucit nos moeurs.  Les mots dans les oreilles nous aiguisent la connaissance : les vers et les phrases sont parents des parfums.   Ailleurs,  rien n'est plus utile à l'amour qu'un doigt de champagne et une louche de caviar. Les amants s'ébattent dans une plomberie qui donne le vertige. Ces remplissages et ces vidanges n'ont pas forcément plus d'éclat que les perles, et pour beaucoup , les frites, la viande hâchée et les sodas procurent d'aussi fortes émotions que les truffes poêlées au foie gras suivies d'un Sauternes... Le bonheur est affaire d'habitudes et de conventions.
Dans l'enfilage des perles les trous et les fils sont l'essentiel. Tel ivrogne vous fait des conférences sur le Ricard, le Pernod, le Casanis et mille contrefaçons d'anisette ... connaît tous les bouis-bouis de Corse. Tel bâfreur de saucisses chipote entre les graisses de cinquante sortes de cochonnailles, tel fumeur de kif interdit d'alcool par son prophète, ne se torche que de la main gauche et sait combien de pipes le mènent à des orgasmes interminables... Le bonheur est à l'école et dans la rue...
Les repentirs du petit matin, les laxatifs, sauvent des âmes de la mort subite et de l'enfer. Des pilules bleues relèvent les vieillards. Les livres sacrés, les mots savants des curés, pasteurs, imams, rabbins, tous hommes de Dieu dévoués à ses créatures , sont les cerises posées sur le gâteau du bonheur. Car il faut que ces créatures nées bonnes, innocentes et pures ( Jean-Jacques... ) se désaltèrent des eaux claires de la parole du Créateur et ne s'abîment que par la volonté du diable dont les troupes sont innombrables.... Un steack ne peut être agréé par le Tout Puissant si son boeuf, coincé dans des plaques de fer, ne fut pas lentement égorgé par un sabre aussi tranchant que celui du prophète, si le sang de ce boeuf n'a pas gerbé à deux mètres cinquante et si la pauvre bête n'a pas eu le temps de compter jusqu'à cent, les yeux exhorbités, le coeur exaspéré entre des poumons inutiles, la tête à demi retenue au corps, qui proteste à coups de sabots,  crevant d'effroi et stupéfaite.... Entre temps des hommes pieux mettent sur le dos des brebis et des chèvres, les tranchent d'une oreille à l'autre sous l'oeil de celles qui attendent, et psalmodient des versets archaïques pour prouver la pureté de leurs intentions, le respect des saintes volontés, couvrir le bruit mécanique des secousses et des giclées....

On se demande ce qu'eût été le bonheur nazi, toutes conquêtes terminées, toute humanité débarrassée de ses races adjacentes, chevelures trop brunes et fosses nasales mal orientées... Les haras humains en pleine forme auraient donné le jour à des pépinières de blondinets, athlètes du bras tendu ...  Les stades auraient été pleins de colosses aux yeux bleus, des vagues de héros seraient parties dans des fusées pour planter sur Mars des bustes de bronze et des salades de phrases... On sait ailleurs que le bonheur des démocrates se tapit sur les parkings des épiceries géantes, dans les couloirs de galeries marchandes, les restructurations d'entreprises, puis les boutiques de sex-toys et d'innombrables cachotteries du slip... En fermant les yeux sur tant de petits cailloux qui reconduisent aux portes de l'Eden, certains se prennent à rêver d'un bonheur plus fantastique que nos jeux de tuyaux, celui de faire sauter nos égoûts et nos fontaines de jouvence : la destruction efficace de notre espèce et de ses berceaux, revanche sur plus intelligent que nous, qui commit l'erreur de créer le ciel et la terre en sept jours de l'année 4654 avant son fils.... Nous n'avons de solide penchant que celui de nos jalousies... De vraie fièvre que notre rage. Nous n'admirons pas l'aurore, mais les agences de voyage dépensent des fortunes à photographier le crépuscule, voir s'abolir le Soleil dans les flots de sang noir.

Quelque part entre l'Enfer et le Paradis, la vérité fut écrite en lettres de feu : " Vous n'êtes pas nés pour être, mais pour connaître les sciences et avoir du courage..." Tel devrait être la raison du bonheur pour les rescapés du Déluge...


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