Que sera demain la Peinture? Je n'en sais rien, personne n'en sait rien. Il n'est pas certain qu'elle soit... Ici et Maintenant, tel est le tableau, toujours perverti par les machines à reproduire ailleurs et plus tard. Il gravit son chemin de croix quand il se transforme en images et répliques, pour le plus grand bien de la Culture et de la Pédagogie, ces purées de modes d'emplois qui rendent les hommes aptes à la conversation et au malheur distillé. Les tableaux sont recueillement et silence... Il s'agit d'échapper à la gravitation du temps contraint. Sont-ils si "visibles" que cela ?
La "Guerre" du Douanier Rousseau fut au Grand Palais pour quelques semaines, facile à regarder car on ne s'y arrêtait guère . Drôle de public : 75% de plus de soixante ans, 60% de femmes, quelques enfants conduits par les grands-mères... quelques rares trentenaires... On dirait que l'école est passée par là, que des prêcheurs ont fait leur travail... ou qu'un cheval noir sur des cadavres blancs est moins saisissant qu'un cheval blanc sur des cadavres noirs... A côté, on regardait peu la jeune fille à la robe rose et l'enfant au pantin ... Les petits paysages peuplés d'invariants plastiques n'avaient qu'un petit succès ; seules les jungles aux feuilles démesurées cachant des tigres ou exhibant d'énormes fleurs faisaient tenir en place... J'avais l'impression qu'on venait voir l'exposition des illustrations du catalogue... Mais pourquoi s'en faire? Un petit garçon tira son grand père par la manche et pointa l'index sur un mort du premier plan, montra deux paupières fermées surmontés d'un trou sanglant, à peine visibles dans le magma des cadavres crème et des corbeaux à leur affaire..
Cette "Bellone " en fureur de 1894 ne fut risible que vingt ans et quelque chose me dit qu'elle fait encore se détourner en ce début de siècle. La course folle du cheval à tête minuscule, l'épée tenue comme par une mauvaise élève, la poupée maléfique montée en amazone, les silencieux dépouillés, les freux pinçant des lambeaux de viande, les arbres gris ou noirs à quelques feuilles, les nuages roses comme des entrailles et oranges comme les gaz mortels... Ce tableau n'est pas tableau d'Histoire... Il est actif ... Annonce macabre, amorale, giflant l'air tiède des corps jetés en vrac. Le "Radeau de la Méduse" était un naufrage pyramidal, la "Mort de Sardanapale" fut un bazar jubilatoire, "Guernica" fut digne de Saint-Just...
Ici l'homme du peuple, privé de rhétorique, lance une machine infernale aux couleurs des Fleurs de l'enfer, un galop perpétuel des idées noires et des folies, le feu sur toute la Terre, les élites disparues comme l'herbe rasée sous les chevaux d'Attila... La Mort ayant la vie devant soi...
Enfant soldat. Carnet.
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